L'alchimie selon Newton

 NEWTON : L’alchimie pourquoi ?

 

«  Newton n’était pas le premier au siècle de la Raison, il était le dernier du siècle des Magiciens, le dernier des Babyloniens et des Sumériens…

Pourquoi lui donner le nom de magicien ? Parce qu’il considérait l’univers entier et tout ce qu’il contient comme une énigme, comme un secret que l’on pouvait lire en appliquant la pensée pure à certains signes, certaines voies mystiques  que Dieu avait tracées sur terre… Il considérait l’univers comme un cryptogramme livré par le Tout-Puissant. »

John Maynard Keynes

 

Je vais tourner une dernière page de l’histoire de l’(al)chimie avec celui que je considère comme le plus grand physicien de tous les temps : Isaac Newton.

 

J’ai décrit sur ce site la face visible de cet iceberg de la science avec un bref résumé de sa vie et de son œuvre et quelques commentaires sur ses travaux d’optique et bien sûr à propos de  la gravitation universelle. On connaît moins le Newton théologien, philosophe de son  siècle… et alchimiste passionné.

 

Peut-on trouver une unité, un  fil conducteur, dans les travaux de cet homme tourmenté et parfois décrit comme paranoïaque ?

 

L’activité alchimique de Newton a été longtemps occultée ou tronquée par ses élèves, ses admirateurs et ses biographes. Beaucoup ont découvert avec incrédulité cette partie cachée de l’œuvre du grand maître. Les plus indulgents n’y ont vu qu’un divertissement ou le fruit d’une passion mystique, d’autres furent plus sévères :

 

David Brewster, son premier grand biographe, qui découvre avec stupéfaction cette activité et voit ainsi altéré le portrait idéal qu’il s’était fait du grand homme, écrit dans ses Mémoires :

 

«  Dans la mesure où les investigations de Newton se limitaient à la transmutation des métaux… nous pouvons trouver des justifications à ses recherches ; mais nous ne pouvons comprendre comment un esprit doué d’un tel pouvoir, si noblement occupé avec les abstractions de la géométrie et l’étude du monde matériel, ait pu s’abaisser jusqu’à devenir le copiste de la poésie alchimique la plus méprisable et l’annotateur d’une œuvre de toute évidence produite par un fou et un valet. »

 

Cependant tous savaient que le grand savant avait passé l’essentiel de sa vie auprès de sa forge :

 

«  Il allait rarement se coucher avant deux ou trois heures, parfois quatre ou cinq heures en particulier au printemps et en automne, époques durant lesquelles il était occupé dans son laboratoire six semaines d’affilée, le feu restant allumé nuit et jour »

« Son laboratoire était abondamment pourvu en matériel de chimie, tels que récipients, ballons, alambics, creusets……

Il lui arrivait parfois de regarder dans un vieux livre poussiéreux ; je crois qu’il était intitulé Agricola de metallis, la transmutation des métaux étant son propos premier ; et dans ce but l’antimoine était un ingrédient essentiel… »  Humprey Newton (secrétaire et assistant de Newton de 1685 à 1690)

 

David Brewster pour établir sa biographie avait analysé la très considérable bibliothèque alchimique de sir Isaac qui comportait des notes et un grand nombre d’ouvrages alchimiques (109 ouvrages ont été répertoriés, certains concernaient la médecine) annoté de sa main. Au total Brewster évalue à 650 000 mots le contenu des notes ayant trait à l’alchimie.

 

En 1936, la famille se sépare des écrits alchimiques et théologiques en sa possession. La vente est organisée par Sotheby and Co à Londres, et les manuscrits sont dispersés. Heureusement le grand économiste John Maynard Keynes entreprit de reconstituer la collection. Il put acquérir près de la moitié d’entre eux qui furent légués à sa mort au King’s College de Cambridge.

En 1872 un descendant de la sœur du savant avait fait don à l'université de Cambridge des écrits et livres conservés par sa famille, le bibliothécaire leur avait retourné une malle contenant les écrits « n'étant pas de nature scientifique » HYPERLINK "http://www.ilephysique.net/encyclopedie/Isaac_Newton.html#cite_note-66"dont l’essentiel de ses travaux alchimiques !

La première question que l’on peut donc se poser à propos de Newton alchimiste, concerne l’origine de cette passion si incongrue pour beaucoup. Comment, ensuite, ne pas  chercher à comprendre comment le Newton physicien pouvait intégrer ses recherches alchimiques dans sa quête à propos des origines et des principes régissant l'univers ?

 

Le cercle de Hartlib

 

A l’aube du XVIIème siècle, des hommes profondément croyant, mais ouverts au progrès et à la réforme, voient dans le développement de l’alchimie un moyen d’atteindre leur but.

 

Il faut d’abord citer J.V. Andreae (1586-1654) qui le premier a formellement lié l’espoir d’une réforme universelle aux progrès de l’alchimie mystique. Son but était une réforme de l’éducation et de la religion dans la société. Voici ce qu’il écrit concernant le « laboratoire de sa république idéale « :

 

« Ici les propriétés des métaux, des minéraux et des végétaux, et même la vie des animaux sont étudiés, pour servir la race humaine et dans l’intérêt de son bien-être. Ici le ciel et la terre sont mariés, les mystères divins dont la terre porte l’empreinte sont découverts ; ici les hommes apprennent à domestiquer le feu, à se servir de l’air, à juger l’eau à sa juste valeur, à déterminer la nature de la terre… » JV  Andreae, Christianopolis

 

On peut aussi rapidement évoquer le pédagogue Comenius qui élabora sa propre philosophie de la Nature et développa le concept de « pansophie ».  Comenius estime qu’il doit être possible de sortir de la « caverne » de Platon à condition de percevoir les deux niveaux de « lumière » existant à l’intérieur et à l’extérieur de l’esprit humain.

La véritable nature de la réalité extérieure est accessible à tous par l’éducation, si elle peut-être réduite à un principe de base. La réalité intérieure est présente dans l’amour de Dieu et se découvre dans la pratique de l’alchimie mystique.

 

Etudier la chimie, c’est étudier l’œuvre de Dieu, c’est avoir une meilleure connaissance du créateur tout en élaborant des remèdes pour soulager les maux de l’humanité :

 

« … La pratique du chimiste m’est venue à l’esprit, lui qui a trouvé le moyen de clarifier et de décharger l’essence et l’esprit des choses de l’excès de matière, cette unique petite goutte extraite des minéraux ou végétaux contient plus de force et de valeur en elle et l’on s’en sert avec plus de  profit et d’efficacité, et l’on peut espérer l’extraire du tout informe et grossier… »  Comenius A Reformation of Scooles…

 

Voila en effet une des clés simplificatrices que recherchait Comenius. Ses successeurs vont donc s’ingénier à trouver cette clé chimique universelle permettant de déchiffrer les secrets de la nature.

 

Samuel Hartlib fut le plus illustre de ceux-ci.

 

Samuel Hartlib (1600-1662) est Prussien. Il débarque en Angleterre au milieu des années 1620 et c’est à cette époque qu’il eut ses premiers contacts avec l'Université de Cambridge.

Hartlib est profondément influencé  par les écrits utopiques de Francis Bacon , comme Comenius qu’il fit venir quelque temps en Angleterre. Tous les deux étaient convaincus que la réforme de l'éducation et de la philosophie pouvait conduire au progrès et la paix, à un moment où les conflits religieux (en particulier la guerre de trente ans) se multipliaient en Europe.

 

 Dès 1628, Hartlib, étroitement associé à John Dury, qui partageait ses convictions philosophiques, s’ingénia à organiser un vaste réseau de communication et de diffusion du savoir dans de nombreux domaines. Des échanges eurent lieu avec Marin Mersenne, des contacts furent noués avec Descartes et Gassendi.

 

En fait, ce que l'on appela le Cercle d’Hartlib (Dury, John Milton, Kenelm Digby, William Petty, Frederick Clod et quelques autres) traçait une voie pour que l’alchimie s’ouvre à la rationalisation. Bien qu’adeptes d’une conception spiritualiste de l’alchimie, leurs préoccupations humanitaires les poussaient à adopter une démarche empirique et par exemple à rechercher de nouveaux « remèdes chimiques » pour soulager les souffrances humaines.

 

Pour certains le Cercle d’Hartlib fut à l’origine de la création de la Royal Society de Londres (en 1660) qui compta Robert Boyle parmi ses fondateurs.

 

C’est en suivant l’approche du Cercle  et de ses amis -et de Robert Boyle en particulier- que Newton abordera l’alchimie. Grâce à ceux là, l’alchimie ne lui apparaissait pas comme une pratique hermétique et sectaire, mais bien comme une branche respectable de la science.

 

Cette approche fut facilitée par son environnement à Cambridge. Isaac Barrow lui-même, le maitre de Newton, mathématicien puis théologien, philosophe naturaliste à ses heures, éprouva le besoin de s’intéresser à l’alchimie et il connaissait bien les travaux du Cercle de Hartlib comme nombre de ses collègues du Trinity College.

De plus, Barrow avait beaucoup de sympathie pour le néoplatonisme qui lui donnait des arguments contre le mécanisme cartésien –trop rigoureux à son goût.

Voila qui rapprocha Barrow d’Henry More, autre grande figure qui inspira Newton.

 

Newton connaissait également More dont il fut l’élève à Grantham et qu’il retrouva plus tard à Cambridge. 

 

Henry More fait partie des platoniciens de Cambridge qui jugent le mécanisme de Descartes sclérosés. 

Barrow et More étaient très impressionnés par les travaux de Descartes, qui ouvraient une voie face à l’obscurantisme de son époque, mais ils jugeaient qu’en écartant du monde physique tout ce qui relevait en fait du spirituel, de l’immatériel, ne laissant subsister que la matière et le mouvement, il allait beaucoup trop loin. More  jugeait que la dichotomie absolue entre la matière et l’esprit que postulait le philosophe français  était erronée et néfaste.

Au système de Descartes, il manquait une âme, un esprit vital capable de diriger les mouvements de la matière.

 

Après la mort de Descartes, More publie « L’immortalité de l’âme »  où il se livre à une critique en règle du système cartésien. Il montre notamment que le mécanisme de Descartes ne peut rendre compte de nombreux effets naturels. Pour More « c’est un esprit universel, l’âme du monde qui dirige les mouvements mécaniques naturels ».

Ce livre devient le livre de chevet de Newton, il en fait mention à plusieurs reprises dans ses carnets entre 1661 et 1665.

 

Le mysticisme

Newton fut profondément religieux toute sa vie. Fils de puritains, il a passé plus de temps à l'étude de la bible que de la science.

Dans son œuvre, il se réfère constamment à Dieu. Pour lui, comme pour certains alchimistes, étudier la matière offre le moyen de connaître Dieu dans ses œuvres.

 

« Il y avait dans son caractère une tension mystique qui passa presque inaperçue. Elle se révélait non seulement par ses lectures des formules ésotériques des alchimistes, mais aussi par l’attirance qu’il éprouvait pour la philosophie des platoniciens de Cambridge et leurs interprétations des prophéties des livres de Daniel ou de la Révélation. » Louis Trenchard More (biographe de Newton)

 

Newton n’est pas loin de penser que Dieu lui-même a confié par le passé certains secrets à des hommes d’exception, à une élite. D’où l’idée d’une prisca sapiensa, d’une connaissance originale. Comme les savants de son temps, il considère que les écrits des Anciens représentent une expression incontournable de la vérité.

Toutefois cette connaissance reste obscure, comme cryptée, et doit être éclairée par l’expérience pour être comprise. Aussi, pour Newton, les livres anciens ne doivent pas être pris au pied de la lettre, ils requièrent en quelque sorte une ‘‘traduction’’ et peuvent se comparer à une théorie encore imprécise dont chaque interprétation nécessite d’être vérifiée.

 

L'influence de Robert Boyle

Enfin il faut insister sur le fait que les débuts de Newton en chimie se font sous l’égide de Robert Boyle, qui lui aussi avait été au contact de Barrow et de More à qui il avait transmis des manuscrits alchimistes.

Dans son premier ouvrage (Dictionnaire de Chimie, 1668), Newton donne uniquement comme référence  Of Formes de Boyle publié en 1666. Beaucoup de ses sources proviennent de cet ouvrage. Plus tard, Newton lira la plupart des publications de Boyle, dont le fameux Of Colours qu’il annotera au moment de ses premières expériences d’optique.

Soulignons au passage que Robert Boyle n’était pas un alchimiste borné. Il écrit par exemple :

 

Je voudrais bien savoir comment on pourrait parvenir à décomposer les métaux en soufre, en mercure et en sel ; je m’engagerais à payer tous les frais de cette opération. J’avoue, pour mon compte, que je n’ai jamais pu y réussir.

 

Bien au contraire dans Le chimiste sceptique, il établit une rupture nette avec certains alchimistes et leur tradition du secret, le peu de cas qu'ils font de l’expérimentation rigoureuse. Cependant il croyait à la transmutation des éléments et en 1676, il a ainsi rendu compte à la Royal Society de ses tentatives pour changer le vif-argent en or. Il pensait être aux portes de la réussite !

Pour ses premières expériences « aux fourneaux », (vers 1668) Newton s’inspirera des travaux de Boyle. Mais rapidement il tracera sa propre voie.

Les influences du Cercle de Hartlib, de Barrow, de More et de Boyle sont donc à souligner s’il l’on veut comprendre les buts et les moyens des recherches alchimiques de sir Isaac... ainsi que son acharnement contre le cartésianisme.

Les 4 mousquetaires : Barrow, More, Boyle et Newton avaient une foi fervente dans la Réforme, un plaisir commun dans l’exercice de la philosophie, et un intérêt certain pour la vieille alchimie (théosophie et chimie) et la « philosophie de la nature »

Avec ses qualités propres, son goût immodéré de la lecture, sa mémoire prodigieuse, ses capacités de synthèse hors du commun et ses convictions profondes,  Newton va se lancer seul -et dans le secret- dans l’aventure alchimiste dès la fin des années 1660. 

 

Rappelons que Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica est écrit en 1686, et Opticks (publié en 1704) en 1675. 

 

Tout ça…  pour ça ?

 

 « Après avoir dissous le soufre dans l’huile de térébenthine, si l’on distille cette dissolution, on trouvera que le soufre est composé d’une huile épaisse et inflammable, d’un sel acide, d’une terre extrêmement fixe et d’un peu de métal : les trois premiers principes constituants y entrant en quantités à peu près égales et le dernier en si petite quantité qu’à peine mérite-t-il qu’on en tienne compte. »

Newton, Optique, question 31 

 

 

Nous l’avons vu dans la première partie, les premiers admirateurs de Newton, les premiers biographes, sont restés perplexes devant ses recherches alchimiques. Relevaient-elles du mysticisme, avaient-elles une fonction récréative ou tout simplement traduisaient-elles une volonté d’enrichissement ?

 

Pour certains  la passion de Newton pour l’alchimie était tout à fait triviale :

 

«  Newton, Boyle et Locke entendaient mettre en pratique leurs connaissances pour obtenir des résultats concrets, et ils auraient volontiers reçu honneurs et richesses… » Trenchard More

 

William Stukeley, un des premiers biographes de Newton, insiste au contraire sur l’apport scientifique de Newton en chimie :

 

« En ce qui concerne la chimie en général, nous pouvons raisonnablement penser que sir Isaac, de par sa longue et constante assiduité dans ces distractions pyrotechniques, avait fait de très importantes découvertes dans ce domaine de la philosophie… de sorte qu’il fut sauvé de la superstition,  de la vanité et de l’imposture, et de la folle investigation dans l’alchimie et la transmutation.  Par ce moyen, sir Isaac poussa ses recherches très profondément, aussi bien vers les composantes ultimes de la matière, que vers les régions dans limites de l’espace. » Memoirs of Sir Isaac Newton's Life (1752).

 

David Brewster, le plus scrupuleux de ses biographes, prend soin, dans un premier temps,  d’établir une distinction entre l’alchimie de Newton, que pratiquaient aussi John Locke et Robert Boyle, de l’alchimie « vulgaire », «processus qui commence dans la supercherie et se termine dans le mysticisme… ». Il déchantera plus tard !

 

La thèse de Betty Dobbs, dans  « Les Fondements de l’alchimie de Newton », qui a été ma source principale, est tout autre :

 

 « Il semble au contraire que c’est précisément par la voie de l’alchimie et de la transmutation que sir Isaac entendait élucider « les composantes ultimes de la matière »

« Newton pensait pouvoir en réalité élucider par ce moyen les mouvements des corps de petites dimensions de manière à compléter le système universel qu’il était en train d’édifier »

 

On est cependant obligé de constater que les premières manipulations alchimiques de Newton, fortement inspirées alors par Robert Boyle, sont tout à fait traditionnelles puisqu’elles consistent à « isoler le mercure de différents métaux ». Tout ce qu’a pu noter Keynes à ce propos, c’est le volume de travail considérable fourni par le savant dans ce but jusqu’en 1675.

 

Pourquoi le mercure ? On connaissait à l'époque 7 métaux (or, argent, fer, cuivre, étain, plomb et mercure) ; les six premiers étaient solides et par fusion « prenaient le caractère du seul métal liquide à l’état naturel : le vif-argent ou mercure »

Au final Newton pensa avoir réussi à préparer le fameux mercure des philosophes à partir du mercure commun et de son fameux régule étoilé (régule du lion).

Dans l'alchimie européenne, le dragon ou le lion verts symbolisent un dissolvant puissant comme par exemple l'« eau royale » (Aqua regia), et il est désigné par un triangle féminin pointé vers le bas auquel est associé un R. On dit de lui qu'il « ouvre et ferme les scept sceaux indissolubles des sept esprits métalliques et (qu'il) tourmente les corps jusqu'à ce qu'il les ait entièrement perfectionnés ». Il s'agit en fait du Vitriol, considéré aussi comme « le seul corps immonde, mais qui permet de joindre les teintures entre le soleil et le lune ». Ce corps apparaît au début du travail de l'Œuvre, juste après l'œuvre au noir, sans qu'il soit toujours cité. On notera à ce propos qu'une grande partie du travail alchimique de Newton a précisément consisté dans « la chasse au lion vert ».

Par régule, il faut entendre le métal antimoine (aujourd’hui c’est un alliage plomb-étain-antimoine) ; qui était obtenu par réduction à chaud d’un minerai du métal, la stibine, avec un autre métal (fer, plomb, cuivre). En refroidissant, l'antimoine présentait alors ce qu'on appelle un phénomène de retassure, ce retrait prenait souvent l'aspect d'une étoile à 6 branches, ce qui pour Newton, était le signe d'une attraction où il pensait trouver une analogie avec ce qu'il avait observé pour les corps célestes.

Les conclusions de Newton laissent perplexes  (... plus de 300 ans après !) et son interprétation de certaines observations, entachée d’erreurs grossières de jugement, nous semblent incompréhensibles de la part de l’auteur des Principia. En fait son principal résultat, mesuré à l’aune de la chimie moderne, est très vraisemblablement la réalisation d’un amalgame double d’antimoine et d’argent.

Il faut noter que Newton ne publia pas ses travaux. L’hypothèse la plus répandue consiste à penser que le savant se trouvant à la porte du grand secret était sur la piste d’une découverte fondamentale et qu’il avait donc intérêt » à garder hautement le silence » !

Du macrocosme au microcosme

 

 Tout cela semble donc un peu mince de la part d’un scientifique de cette stature, surtout après tant de labeur. Ce n’est certes pas du côté des découvertes expérimentales qu’il faut chercher l’apport scientifique de Newton dans sa pratique de l'alchimie.

 

Cependant le savant, qui cherche à expliquer l’ensemble des phénomènes naturels, y compris la composition de la matière, va être amené à l’occasion de ces travaux à s’interroger sur la généralité de sa loi de l’attraction universelle, y compris dans les domaines relevant de la chimie. C’est ainsi que l’attraction mutuelle des particules sera au cœur de la fameuse question 31 dans Optics.

 

C’est vers 1679 que Newton abandonne la notion d’éther matériel et met définitivement en place son concept d’attraction et de répulsion à distance. Pour les mécanistes, Newton en revient aux forces occultes (les sympathies et antipathies que l’on retrouve dans nombre d’écrits occultes de la Renaissance).

 

Dans la question 28 de la 4ème édition du Traité d’Optique, il attaque frontalement le mécanisme cartésien, et donne ses argument en faveur de l’atomisme et du vide, contre la théorie de Hobbes, Descartes, Spinoza, Huyghens, Leibniz et quelques autres.

 

Newton est travaillé par l'idée fondamentale que la nature est traversée de forces, un concept qui dans sa pensée, est incontestablement d'origine alchimiste.

 

Il fut donc violemment critiqué par l’ensemble des chimistes qui avaient combattu avec horreur les idées alchimiques pendant plus d’un siècle, plus particulièrement par les cartésiens. Des professeurs de chimie célèbres comme Rouelle, Privat de Molière et Lémery prirent violemment à partie les idées de Newton dans leurs cours publics et leurs écrits.

 

  LIRE à ce propos SUR LE SITE " Diderot et la chimie "

 

Newton répondra que la gravité n'est pas une «qualité occulte», mais un principe même de la nature qui est déductible à partir des phénomènes, même si nous ne savons pas la cause.

 

Betty Dobbs écrit à propos de la pensée de Newton dans les années 1680 (il publie les Principes en 1687) :

« Il y avait  non seulement la force d’attraction qui faisait que planètes et étoiles constituaient un ensemble cohérent… mais aussi l’activité latente dans la substructure de la matière...

Disparues, selon Newton, les particules inertes de la matière cartésienne, reposant les unes à côté des autres dans l’attente d’un impact. A la place, on avait des corpuscules structurés de plus en plus complexes, soit maintenus en un tout cohérent par des forces d’attraction, mais également capables de se repousser les uns les autres en d’autres occasions »

La 31ème question du Traité d’Optique

Cette trente et unième question, qui termine la dernière édition de l'Optique de Newton, est le premier écrit de philosophie chimique où la preuve soit donnée de l'existence d'une force attractive, agissant au contact apparent seulement pour opérer des combinaisons absolument distinctes des mélanges dans lesquels les corps conservent toutes les propriétés qu'on y remarquait auparavant.

L'auteur de la loi de la gravitation établit deux différences vraiment fondamentales entre la pesanteur et l'attraction moléculaire ; dès lors l'intensité de la première est en raison de la masse et en raison inverse du carré de la distance, tandis que l'intensité de l'attraction moléculaire décroît si rapidement avec la distance qu'elle n'est sensible qu'au contact apparent.

La seconde différence concerne l'intensité de la pesanteur indépendante de la nature des corps  ; elle est la même pour l'unité de poids à des distances égales, tandis que l'attraction moléculaire d'affinité pour des espèces chimiques différentes pouvait être fort différente dans les mêmes circonstances.

L'inégalité d'affinité entre des espèces chimiques diverses, parfaitement observées et définies par Newton, en vertu de laquelle un corps peut en expulser un autre B, qui est uni à un troisième C, pour en prendre la place, est ce qu'on appelle affinité élective, mot qui exprime que l'affinité de pour le corps C est supérieure à celle du corps B.

C'est grâce à l'affinité élective que l'analyse chimique est possible dans l'étendue des cas où nous la pratiquons aujourd'hui ; mais l'affinité élective, loin d'être absolue, change avec les circonstances.

M. Chevreul, Résumé d’une histoire de la Matière

«L’affinité chimique", historiquement, se réfère à la "force "qui provoque des réactions chimiques.

 En conclusion de la question 31 il écrit :

 

« Il me semble probable que Dieu au commencement a formé la matière en particules solides, massives, dures, impénétrables, mobiles, de telles dimensions et de telles figures, et avec tant d’autres propriétés, et dans de telles proportions de l’espace que la plupart aboutirent au but pour lequel il les avait formées. »

 

Conclusion

 

Dans Never at rest: a biography of Isaac Newton, (Cambridge University Press, 1980), R. S. Westfall, avance que ce sont peut-être les possibilités de description universelle offertes par le mécanisme et l'alchimie qui ont poussé Newton à ne se fermer aucune des deux voies de travail.

 

Westfall va plus loin : c’est du mariage entre la tradition hermétique et la philosophie mécaniste qu’est née la science moderne et il insiste sur le fait que le concept newtonien de forces entre particules est issu de phénomènes terrestres, chimiques en particulier.

 

Ce serait donc en partie grâce à son four (et non à la pomme !) que Newton en serait venu au principe fondamental de la gravitation universelle.

 

Les chimistes comme Lémery, Boyle, sous l’influence de Descartes, avaient fait de la chimie un édifice créé de toutes pièces par l’imagination. Newton les appela les «philosophes à hypothèses». Leurs puissants esprits avaient réussi à illustrer, à simplifier la complexité déroutante de la chimie en utilisant la géométrisation et la mécanisation de la matière de Descartes. Ils se sont donc appuyés sur un système hypothétique inventé par le philosophe qui pouvait justifier leurs idées. Mais le système d’atomes géométriques en tourbillon de Descartes était erroné, et les chimistes cartésiens perdirent de leur crédibilité du fait des travaux de Newton.

 

Enfin, c’est aussi un peu grâce à son four que Newton a compris qu’en chimie, comme dans tous les domaines de la Philosophie Naturelle, l’expérimentation est un préalable.

 

Les nouveaux chimistes du 18ème  siècle comme Boerhaave aux Pays-Bas, Stahl en Allemagne, Bergman en Suède et Geoffroy en France, préféreront la méthode et la théorie de Newton qui dit dans un passage célèbre : "Je ne feins point d’hypothèses".

 

Références : tous les liens mis en place et en particulier :

 

Betty J. Teeter Dobbs, Les Fondements de l’Alchimie de Newton

Richard S. Westfall, voir catalogue ICI

Sir David Brewster, voir catalogue ICI

M.E. Chevreul, voir catalogue ICI