" Nature a, ce crains-je, elle même attaché à l'homme quelque instinct à l'inhumanité "
Montaigne, Les Essais
Cette crise qui affecte les pays les plus riches, en butte à la pression des populations les plus démunies, pose une question très simple :
Sommes-nous en ce bas monde pour accumuler à tout prix des richesses au dépens de nos semblables ?
En mettant des enfants de migrants en cage, Trump répond OUI.
En mettant en danger la "cargaison" misérable d'un bateau humanitaire, l'Europe (sauf l'Espagne) répond oui.
Depuis que le monde est monde, l'homme a toujours ressenti le besoin de se déplacer vers des lieux moins inhospitaliers, du fait de circonstances climatiques, mais aussi des guerres, des violences infligées aux minorités ethniques, religieuses, spirituelles, politiques.
Aujourd'hui, ce sont près de 250 millions de personnes (3% de la population mondiale) qui vivent à l'extérieur de leur pays de naissance.
A rapprocher des 79 millions recensés en 1960.
Réchauffement climatique, instabilité politique croissante, moyens de transport et filières clandestines plus performants, font qu'inexorablement ce flux continuera à enfler.
Depuis des dizaines de milliers d'années l'homme est en mouvement. La création de nations constituées d'ensembles plus ou moins homogènes (ancêtres, langue, religions) est très récente.
Sur certains territoires favorisés par la nature et le climat, l'arrivée de nouveaux venus a déclenché, dès le Moyen Âge, des réflexes xénophobes et permis de désigner des boucs émissaires, offerts aux foules en colère par temps de crise.
L'histoire de l'antisémitisme en Europe, qui conduit au génocide nazi, est l'illustration de ce que le nationalisme, la notion de race et d'entre-soi, exacerbée par quelques populistes illuminés, est capable de produire.
Aujourd'hui le monde - et singulièrement l'Europe - est confronté à une crise migratoire qui a conduit au pouvoir, ou à ses portes, des dirigeants d'extrême-droite. Comment lutter contre la montée de ces sentiments irrationnels qui portent en germe de très sanglants conflits ?
Peut-être en faisant de la science !
Depuis que le monde est monde, l'homme a toujours ressenti le besoin de se déplacer vers des lieux moins inhospitaliers, du fait de circonstances climatiques, mais aussi des guerres, des violences infligées aux minorités ethniques, religieuses, spirituelles, politiques.
La revue Science présente un dossier à ce sujet, rappelant que jamais ce flux ne fut aussi conséquent.
Aujourd'hui, ce sont près de 250 millions de personnes (3% de la population mondiale) qui vivent à l'extérieur de leur pays de naissance.
A rapprocher des 79 millions recensés en 1960.
Réchauffement climatique, instabilité politique croissante, moyens de transport et filières clandestines plus performants, font qu'inexorablement ce flux continuera à enfler.
Mais qui est donc ce fameux "Français de souche" censé avoir traversé les âges...
Les méthodes modernes d'analyse du génome (d'ADN) montrent que bien peu d'entre-nous sont issus de la terre où ils résident.
Les Européens autochtones, par exemple, résultent d'au moins trois migrations majeures au cours des 15 000 dernières années, dont deux venant du Moyen-Orient.
D'où vient la population européenne ?
Les connaissances sur cette question progressent actuellement à grande vitesse, grâce aux nouvelles possibilités offertes par l’analyse de génomes anciens.
Les scientifiques font l’hypothèse que la population du Vieux Continent est issue de trois lignées principales : des chasseurs-cueilleurs, premiers humains modernes à s’être installés sur la place, des agriculteurs arrivés plus tardivement du Proche-Orient, et enfin un mystérieux troisième groupe en provenance d’Eurasie, qui aurait aussi contribué à forger la population amérindienne.
Les dernières analyses montrent que des chasseurs-cueilleurs du Caucase ont également légué leurs gènes aux européens modernes.
A l'origine, il y a 45 000 environ,les premiers humains modernes (ou Homo sapiens) y débarquent en provenance d’Afrique. Ces chasseurs-cueilleurs font alors la connaissance d’une autre espèce humaine déjà installée localement : Néandertal. Des études récentes suggèrent que les deux espèces ont cohabité pendant plusieurs milliers d’années, se reproduisant même entre elles.
Le fameux "Français de souche" devrait être un néandertalien... !
Une étude savante sur l'origine des européens : Origine, répartition, âge et relation ethnique des haplogroupes européens
On entend beaucoup les cris de colère de citoyens de ces pays riches, vers qui convergent les migrants économiques ou politiques.
Mais est-ce si simple de quitter famille, terre, racines ?
Nombreux sont ceux qui ont évoqué dans des livres, films, articles, la douleur de l'exil, qui parfois conduit à des traumas incurables.
La revue Science évoque le calvaire du peuple Yézidi, chassé du Kurdistan irakien par DAECH.
Chaque témoignage de Yézidis est une plongée dans l’horreur.
Science relate le parcours d'une famille yézidi, des montagnes du Kurdistan irakien à l'Allemagne, en passant par la Turquie et la Grèce.
Quatre ans après leur fuite, ayant échappé au pire, ils essaient de surmonter leurs souffrances psychologiques. Les douleurs de l'exil.
Lorsque la violence politique ou religieuse éloigne les gens de leur foyer, «il y a confusion, perte, rupture de toutes sortes de liens», explique le psychiatre psychiatrique Laurence Kirmayer de l'Université McGill à Montréal, au Canada.
Une étude réalisée en 2016 auprès d'adultes Yezidis irakiens dans un camp de réfugiés turc, montre que près de 30% d'entre-eux présentaient un syndrome de stress post-traumatique (TPTT) ou une dépression majeure.
The pain of exile (La douleur de l'exil)
La science permet d'analyser, et parfois de réparer, les blessures occasionnées par les migrations ; la science est elle-même une des professions les plus itinérantes.
Depuis une trentaine d'années le phénomène s'accentue, de très nombreux scientifiques traversent les frontières à la recherche de nouvelles collaborations.
Ce qui fait aujourd'hui le dynamisme de la recherche, c'est l'ouverture vers l'interdisciplinarité et vers les collaborations trans nationales.
Des études très précises ont permis d'évaluer les conséquences de cette mobilité des scientifiques.
Le projet GlobSci, portant sur 17 852 scientifiques travaillant dans 16 pays , a montré que le facteur d'impact de la recherche par des scientifiques nés à l'étranger (mesuré par pays de résidence à l'âge de 18 ans) est en moyenne supérieur à celui des indigènes qui n'ont pas d'expérience de mobilité internationale.
Ces résultats confirment que la mobilité transfrontalière entraîne une augmentation de la qualité de la recherche.
L'évolution des moyens de transport, qui ne cessent de rétrécir la planète, ne peuvent que stimuler ces mouvements.
C'est dans le dialogue, l'échange, la confrontation (pacifique) des points de vue, des cultures... que l'homme progresse. Tout cerveau normalement développé, capable d'une analyse sommaire des faits, devrait être capable de le comprendre !
"Tout homme est deux hommes et le plus vrai est l'autre"
Jorge Luis Borges
" Il se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes que de nous à autrui."
Michel de Montaigne
Marionnettiste
"... Et s'ils ont peur de leur ombre
c'est qu'ils se doutent un peu
que haïr l'étranger
c'est avoir peur de soi".
Jean-Pierre Simeon
Là
où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois
là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux
là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,
d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes
je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.
Quand un policier blanc qui tue à main nue (par étranglement)
un homme noir désarmé et asthmatique
est absous par un grand jury qui dispose de la vidéo complète de la scène
Je pense que
Luther King Mandela Gandhi
n'ont servi à rien
que nous avons changé de siècle et d'ISMES
mais que notre part d'ombre loin de régresser
s'étend
"...
Écoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompéter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !
Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé
pour ceux qui n’ont jamais rien exploré
pour ceux qui n’ont jamais rien dompté
Eia pour la joie
Eia pour l’amour
Eia pour la douleur aux pis de larmes réincarnées..."
Aimé Césaire, Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Nous les gueux...
nous les peu
Nous à qui n'appartient
Nous les gueux
Qu'attendons-nous
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"C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer."
« Il faudrait faire en sorte que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître, que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire, et certains symboles de sa culture propre, que chacun, là encore, puisse s’identifier, ne serait-ce qu’un peu, à ce qu’il voit émerger dans le monde qui l’entoure, au lieu de chercher refuge dans un passé idéalisé.
Parallèlement, chacun devrait pouvoir inclure dans ce qu’il estime être son identité, une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d’importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire : le sentiment d’appartenir aussi à l’aventure humaine. »
Amin Maalouf, Les identités meurtrières
" .. C'est un crime d'égarer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu'on a pervertie jusqu'à la faire délirer.
C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme [racisme], dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie.
C'est un crime que d'exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine, et c'est un crime, enfin, que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l'œuvre prochaine de vérité et de justice.
Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies.
Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure... "
Emile ZOLA, J'accuse
Ci-dessous, tribunes libres signées de MM. Montaigne et Montesquieu
« Or, je trouve, pour revenir à mon propos qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage dans cette nation…sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».
Montaigne
A propos des cannibales :
" Aprés avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se peuvent aviser, celui
qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses connaissants ; il attache une corde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur
d'en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l'autre bras à tenir de même ; et eux deux, en présence de toute l'assemblée, l'assomment à coups d'épée...
Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes ; c'est pour représenter une extrême vengeance...
Je ne suis pas marri que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action, mais oui bien de quoi,
jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres.
Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entré des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les
surpassons en toute sorte de barbarie."
Extrait de : Des Cannibales - Montaigne, Les
Essais
Montesquieu
" Le pape est le chef des chrétiens. C'est une vieille idole qu'on encense par habitude. Il était autrefois redoutable aux princes même: car il les déposait aussi facilement que nos magnifiques sultans déposent les rois d'Irimette et de Géorgie. Mais on ne le craint plus. Il se dit successeur d'un des premiers chrétiens, qu'on appelle saint Pierre , et c'est certainement une riche succession: car il a des trésors immenses et un grand pays sous sa domination.
Les évêques sont des gens de loi qui lui sont subordonnés, et ont, sous son autorité, deux fonctions bien différentes: quand ils sont assemblés, ils font, comme lui, des articles de foi; quand ils sont en particulier, ils n'ont guère d'autre fonction que de dispenser d'accomplir la loi...
Les évêques ne font pas des articles de foi de leur propre mouvement. Il y a un nombre infini de docteurs, la plupart dervis, qui soulèvent entre eux mille questions nouvelles sur la religion. On les laisse disputer longtemps, et la guerre dure jusqu'à ce qu'une décision vienne la terminer.
Aussi puis-je t'assurer qu'il n'y a jamais eu de royaume où il y ait eu tant de guerres civiles que dans celui de Christ.
Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d'abord appelés hérétiques . Chaque hérésie a son nom, qui est, pour ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n'est hérétique qui ne veut: il n'y a qu'à partager le différend par la moitié et donner une distinction à ceux qui accusent d'hérésie, et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un homme blanc comme de la neige, et il peut se faire appeler orthodoxe .
Ce que je te dis est bon pour la France et l'Allemagne: car j'ai ouï dire qu'en Espagne et en Portugal, il y a de certains dervis qui n'entendent point raillerie, et qui font brûler un homme comme de la paille.
Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la main, qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à deux rubans, et qui a été quelquefois dans une province qu'on appelle la Galice! Sans cela un pauvre diable est bien embarrassé. Quand il jurerait comme un païen qu'il est orthodoxe, on pourrait bien ne pas demeurer d'accord des qualités et le brûler comme hérétique...
Les autres juges présument qu'un accusé est innocent; ceux-ci le présument toujours coupable: dans le doute, ils tiennent pour règle de se déterminer du côté de la rigueur; apparemment parce qu'ils croient les hommes mauvais...
Ils font dans leur sentence un petit compliment à ceux qui sont revêtus d'une chemise de soufre, et leur disent qu'ils sont bien fâchés de les voir si mal habillés, qu'ils sont doux, qu'ils abhorrent le sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés.
Mais, pour se consoler, ils confisquent tous les biens de ces malheureux à leur profit...
De Paris, le 4 de la lune de Chalval 1712.
De l'esprit des Lois
" Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je
dirais :
Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique pour s’en
servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque
impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps
tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie qui font
des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du
monde, étaient d’une si grande conséquence qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or,
qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des
hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne
serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? "
Montesquieu, De l’esprit des lois, XV, 5, (1748)
Bousalem, Tunisie
Plus tard, sur les canouns, Souad réchauffa les darboukas.
S'éleva alors dans cette nuit de lune rousse, d'étoiles jaillissantes, le chant d'une autre vie qui s'annonce à la première caresse de doigts tendus sur la peau séchée.
Souad, fouta rouge, écharpe nouée sur son bassin, corps qui s'anime au premier frisson, expirant comme une vague le long d'une main qui défie le ciel.
Souad danse. Ballet fou de doigts qui se multiplient sur le cuir, se font plus pressants, plus violents, claquements rythmés de mains tendues vers le visage extatique.
Souad qui par gestes saccadés efface un nuage de cheveux défaits, cherche sa paix, la trouve, yeux mi-clos, dans un sourire de possession, puis, genou levé, bras tendus, dessine une dernière arabesque s'éteint et disparaît, aussitôt remplacée sur le cercle par trois hommes ivres de leur violence, de leur virilité redécouverte, pantins désarticulés sous la blessure déchirante de leur propre jouissance.
Odeur d'encens, cycle charnel de pieds ensanglantés, fouaillant l'écorce, rude, éclatée, qui poursuit son interminable ronde, de gestes démesurés, toujours plus haut toujours plus profond, qui vont toujours plus loin s'accrocher hors du temps.
Esprits, corps transcendés devenant soudain tellement plus beaux et tellement plus fragiles.
Marrakech...
... la verte, palmeraie aux ombres douces, aux chants d'oiseaux, aux piaillements d'enfants surgis au détour d'une piste d'un village de poussière.
Marrakech, l'ocre des murs, des pisés, des remparts, de la Koutoubia flèche d'argile plantée en plein ciel, ocre aux paumes des femmes, ocre aux mains des hommes sculptant, pétrissant la pâte d'où jaillit l'amphore.
Marrakech la bleue, bleu si pâle l'azur dans le soleil de midi qui s'étend sur Marrakech la verte, l'ocre. Bleus les hommes venus du sud, les femmes qui se hâtent au crépuscule dans les ruelles de la médina. Et ce matin d'avril aux premières transpirations de la terre, face à nous Marrakech la blanche, cimes enneigées de l'Atlas où se projettent le vert, l'ocre et le bleu.
Magie des couleurs du souk, Leïla la brune, cheveux démêlés épars sur la djellaba blanche à filets d'or face au teinturier, bleu du bout des ongles à la racine des cheveux, qui étend sa laine sous un trait de lumière; plus loin le rouge flamboyant et le jaune canari flottent mollement dans le vent du sud.
Marrakech la noire répond Leïla, noire la misère dans le regard des enfants nus qui mendient ou chapardent, noire la souffrance des fillettes qui dix heures par jour tissent et coupent du même geste automatique les fils de laine bleus, verts, ocres...noir de honte le regard des anciens face à ceux qui place Djema Efna prostituent le savoir, la science, la sagesse des ancêtres pour les quelques pièces étrangères des touristes cramoisis, objectifs en batterie qui comme une lèpre s'épandent sur la ville.
"L'enfer, c'est les autres " c'est finalement la seule constante de la campagne de Sarkozy, qui emboite délibérément les pas de la famille Le Pen et nous renvoie aux pires moments de l'histoire européenne.
Mais les Autres c'est qui... si ce n'est l'image de nous-mêmes !
C'est bien ce que dit Sartre dans une exégèse de " Huis Clos " :
" L'enfer c'est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger."
Jean-Paul Sartre
Les Américains ont leur Lampedusa : le "Coin du Diable" sur les rives du Río Grande, là où le fleuve se fait moins impétueux. Endroit infesté de serpents où, sous la canicule et au milieu des épineux, des gamins d'Amérique Centrale tentent de rejoindre l'Eldorado...
Une construction qui prospère : le MUR !
Parmi les 40 cartes publiées par le Washington Post sur son site le 13 janvier 2014, celle-ci (Nicolas Lambert / MigrEurop) témoigne d'une évolution bien inquiétante de notre monde.
Le journal Le Monde rapporte que Saamiya :
" … est morte pour rejoindre l'Occident. Elle était montée à bord d'une "charrette de la mer" qui, de Libye, devait la conduire en Italie. Mais elle n'y est jamais arrivée."
Nouvelle illustration de l'indigence ou de la malhonnêteté des politiciens qui affirment que pour lutter contre l'immigration de la faim il suffit de monter des murs de plus en plus hauts, d'établir des frontières de plus en plus étanches.
Ils nous prennent pour des imbéciles !
Pendant que l'Occident se goinfre et pille la planète, des centaines de millions de déshérités, dont le tort principal est d'être né sur des terres inhospitalières, meurent de faim.
Le vrai problème de la planète (le seul ?) est dans cet énorme fossé et l'égoïsme stupide des nantis qui l'ignorent.
Comblons-le -au moins en partie- au lieu d'engraisser tous ces potentats qui passent leur temps à jouer au Monopoly en vrai grandeur -les technologies actuelles le permettent- et les fous de Dieu ou du Diable retourneront au néant.
Comment croire à la pérennité d'un îlot de prospérité sur un océan de misère !
Mères de tous pays (pauvres), donnez-vous la main !
Sur nos écrans, nous avons tous vu les visages éplorés des mères sénégalaises, marocaines, tunisiennes... dont les fils ont péri lors du naufrage d'embarcations de fortunes, censées les conduire vers l'Eldorado européen.
Outre-Atlantique, les migrants d'Amérique Centrale (Costa-Rica, El Salvador, Nicaragua, Honduras, Guatemala), disparus entre le Mexique et le pays du dollar, se comptent par dizaine de milliers.
Ces jours ci, ces mères ont organisé une caravane, qui en 19 jours va traverser le Mexique pour alerter l'opinion sur ces quelques 70 000 disparitions (depuis 2006) de jeunes hommes fuyant la misère.
De Rick Santorum, catholique intégriste qui fait un tabac aux USA en dénonçant IVG, contraception et relations sexuelles en dehors des périodes de fécondité, aux imans moyenâgeux venus d'Egypte et du Qatar justifier auprès des tunisiennes les mutilations sexuelles, le corps des femmes est à nouveau pris en otage par les politiciens fanatiques de la croix ou du croissant.
Qu'ils dégagent crient les femmes de Washington à Tunis ! Il faudrait peut-être les entendre !
Cette adolescente pakistanaise, se bat depuis 2009, notamment au travers d'un blog hébergé par la BBC , pour la reconnaissance des atrocités commises par les talibans dans la vallée de Swat, où ils détenaient alors le pouvoir.
En 2009, elle avait 11 ans.
C'était donc une cible de choix pour les extrémistes islamistes, pour qui les libertés de la femme doivent être limitées à l'espace qui conduit de la cuisine à la chambre à coucher.
Le courage hors du commun de cette fillette était un véritable défi pour ces fanatiques. L'un d'eux lui a logé une balle dans la tête alors qu'elle montait dans un bus scolaire.
Elle est désormais le symbole de la lutte des femmes contre la barbarie de ces primates à barbe.
En 2014, elle reçoit le prix Nobel de la Paix.
La revue Science parle à sa façon - c'est à dire chiffres, diagrammes, analyses... à l'appui - de l'inégalité économique.
Cela nous donne un numéro spécial exceptionnel qui utilise de nouvelles vagues de données pour explorer les origines, l'impact et l'avenir des inégalités dans le monde.
Les données archéologiques et ethnographiques révèlent comment l'inégalité a commencé chez nos ancêtres.
De nouvelles enquêtes sur les économies émergentes donnent des estimations plus fiables sur les revenus des individus et leur évolution dans les pays pauvres.
Enfin, au cours de la dernière décennie, des recherches intensives et des collaborations interdisciplinaires, ont fourni de grands ensembles de données sur les pays développés.
Sans surprise, la première conclusion est que les inégalités se creusent partout dans le monde. L'impact de ce phénomène est analysé dans différents domaines ; rares sont ceux qui contestent que ce bilan est inquiétant pour l'économie et pour nos sociétés.
A noter que le travail (*) publié par l'économiste français Thomas Piketty est largement cité.
(*) Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Seuil