Grotte Chauvet
Grotte Chauvet

Le dopage existe depuis que l'homme cherche à atteindre le sublime, et en admirant les magnifiques oeuvres de Lascaux, et de bien d'autres grottes ornées, comme Chauvet ci-contre (ouverture de la réplique du Pont-d'Arc le 25 avril), je vois très bien nos ancêtres préhistoriques accomplissant ces prodiges sous l'emprise de quelques herbes répertoriées dans la pharmacopée de l'Aurignacien... il y a 30 000 ans !

 

J'ai déjà parlé, à propos de l'opium, de l’art sous dépendance ; et dû admettre que la création assistée par les drogues avait donné quelques chefs-d'oeuvre de la peinture et de la littérature ! 

 

Le célèbre Club des  Hashischins, rassemblait dans la première partie du XIXème siècle, quelques artistes célèbres comme Delacroix, Daumier et surtout de très grands écrivains comme Théophile Gautier, Baudelaire, Dumas, Balzac et quelques autres.

Rugby années 60, poids des 3/4 centres moins de 80 kg, aujourd'hui de 90 à 120 kg... à vitesse identique
Rugby années 60, poids des 3/4 centres moins de 80 kg, aujourd'hui de 90 à 120 kg... à vitesse identique

Cette forme de "dopage" ne me pose aucun problème moral, puisque, finalement le créateur n'est en compétition... qu'avec lui-même.

 

Le dopage dans le sport, qui consiste à vaincre l'adversaire en utilisant des moyens prohibés, s'apparente au contraire à un délit car le sportif en trichant se voit crédité d'honneur, de gloire... et de nos jours, de beaucoup d'argent !

 

Cet argent (sale) explique pourquoi la pratique du dopage s'est généralisée dans TOUS les sports. La piètre défense des contrevenants, qui consiste à nier, se heurte à des faits objectifs, comme la transformation des morphologies dans des espaces de temps très réduits, l'amélioration physiologiquement inexplicable des performances, les profils biologiques aberrants.

 

Appât du gain, qui fait entrer dans la danse, chimistes, professionnels de santé corrompus, gourous sans scrupules et organisations mafieuses. Nous voici aujourd'hui au coeur d'un véritable trafic de drogues.

 

Voir ICI un lexique du dopage qui, non sans humour, évoque les produits dopants circulant dans le milieu cycliste.

Le dopage a fait son apparition dès les premiers Jeux Olympiques

 

La "gonflette" qui à l'époque consistait à suivre un régime hypercarné, la consommation considérable de viande de chèvre (pour sauter plus loin ou plus haut !), la prise de philtres qui n'étaient pas qu'aphrodisiaques... sont mentionnées dans les textes anciens.

 

Ces pratiques, avec le retour d'hommes armés dans les enceintes sportives, ont fini par avoir la peau de ces JO antiques.

 

Je vais ici enjamber deux millénaires pour faire un schématique état des lieux du dopage en milieu sportif, sachant que d'autres cercles sont touchés : celui des artistes, que j'ai évoqué, des militaires, des culturistes...

Avec les amphétamines les fesses deviennent passoires !

On peut dire que la prise de conscience de la dangerosité du dopage en sport, coïncide avec la mort  du britannique Tom Simpson sur les pentes du mont Ventoux en 1967.

 

Dans les poches de son maillot on retrouva des cachets d'amphétamines (du Tonédron, l'énantiomère (S) de la méthamphétamine).

 Les amphétamines, principal produit dopant des années 60-70, étaient alors connues sous une centaine de noms. 

 

Dans la liste des substances psychoactives publiés par le DHU de Pharmacologie de Bordeaux on retrouve en tête le très évocateur

" 357 Magnum " !!! 

 


Mode d'action des amphétamines

 

Plusieurs mécanismes sont en jeu, qui ont pour but d'accroître la disponibilité de la dopamine (neurotransmetteur du plaisir et de la "récompense").

 Les amphétamines augmentent tout d'abord la concentration de dopamine dans la fente synaptique par un mécanisme complexe qui utilise notamment la similitude des structures des 2 molécules.

Elles diminueraient ensuite la recapture de la dopamine et, à forte concentration, inhiberaient la monoamine oxydase A (MAO-A).

Enfin, les amphétamines lèveraient l'effet inhibiteur dû aux récepteurs métabotropiques au glutamate et rendraient ainsi les neurones dopaminergiques plus facilement excitables.

 

VOIR SUR LE SITE : Les neurotransmetteurs, messagers chimiques

 

Phénylisopropylamine (S) - méthamphétamine
Phénylisopropylamine (S) - méthamphétamine

Jacques Anquetil a avoué avoir gagné ses 5 tours de France sous amphétamines ("mes fesses ressemblaient à des passoires "

La méthamphétamine est un puissant stimulant qui crée rapidement un état d'excitation et de bien être qui peut durer plusieurs heures. Elle permet de dépasser ses limites physiques et psychiques, car elle provoque une forte libération de dopamine. Elle masque ainsi la sensation de fatigue.

Ephédrine (1R, 2S)
Ephédrine (1R, 2S)

Sa synthèse est très facilement réalisable par réduction de la fonction alcool de l'éphédrine, molécule facilement accessible, bien que considérée également comme un produit dopant.

 

Durant la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande a fait un usage massif de méthamphétamine : la pervitine, plus connue sous le nom de « Panzerschokolade », « tablettes Stuka » ou encore « pilule Hermann Göring ». 

 

D'autres drogues ont des effets apparentés et sont utilisées par les sportifs comme la cocaïne (fig. de gauche), alcaloïde extrait des feuilles de cola, qui bloque la recapture de dopamine ou le cannabis (fig. de droite) qui augmente sa production. On parle alors de drogues "récréatives".

Avec les stéroïdes anabolisants, on passe aux choses sérieuses !

Les stéroïdes androgéniques anabolisants ou SAA, sont des molécules de synthèse proches de l’hormone sexuelle mâle, la testostérone secrétée dans les testicules.

 

Ils ont été découverts dans les années 1930 et ont très vite été utilisés pour améliorer les performances des athlètes.

 

A noter les travaux d'un grand chimiste sur les terpènes, les stérols et les stéroïdes : Lavoslav  Ružička, professeur à l'ETH Zurich qui obtint le prix Nobel de chimie en 1939.

 

Les SAA ont deux types d’effets différents.

- Effets androgéniques : accentuation des caractères sexuels secondaires masculins.

-  Effets anabolisants : ils augmentent la masse musculaire et diminuent la masse graisseuse.

 

En plus de l’accroissement de la masse musculaire, certains stéroïdes comme la nandrolone sont réputés pour exacerber l’agressivité et diminuer les douleurs articulaires liées à l’entrainement intensif.

 

Le stanozolol est à l'origine d'un des plus retentissants scandales des Jeux Olympiques modernes : la disqualification du Canadien Ben Johnson vainqueur du 100 m aux JO de Séoul en 1988.

 

En fait, 6 des 8 finalistes de cette course ont fait par la suite l'objet de contrôles positifs aux anabolisants. Le tableau ci-dessous montre à quel point le dopage est répandu chez les athlètes.

Les 24 meilleurs temps sur 100m plat, en  rouge ceux qui ont été testés positifs, ou qui ont avoué, en orange ceux qui en sont accusés, en vert les coureurs ne s’étant jamais fait prendre
Les 24 meilleurs temps sur 100m plat, en rouge ceux qui ont été testés positifs, ou qui ont avoué, en orange ceux qui en sont accusés, en vert les coureurs ne s’étant jamais fait prendre

Impact de la testostérone sur l'organisme

La testostérone est une hormone stéroïdienne, issue du cholestérol, qui fait partie du groupe des androgènes. Chez les mammifères la testostérone est sécrétée essentiellement par les testicules des mâles (et en plus faibles quantités par les glandes surrénales et quelques autres tissus).

 

La figure ci-contre montre l'impact de la testostérone sur différents organes.

 

Ce qui n'aura pas échappé aux aux apprentis sorciers du dopage, c'est l'aspect anabolisant (production de tissus musculaires) ainsi que la stimulation de la production d'EPO (facteur de croissance des globules rouges) au niveau du foie.

 

La course aux anabolisants  de synthèse (exogènes) s'est donc développée dès les années 60. On comprend bien en regardant la figure que les effets secondaires peuvent-être catastrophiques !

Les hormones de croissance

L'hormone de croissance humaine (hGH), la somatropine est un polypeptide de 191 aminoacides libérée par l'hypophyse qui stimule la croissance du squelette et des cellules de l’organisme et participe à la régulation de plusieurs métabolisme.

 

La concentration dans le plasma est normalement faible chez l'adulte.

 

Chez l'enfant cette hormone a notamment un effet anabolisant, elle induit la production des protéines. En médecine, elle est utilisée pour traiter les troubles de la croissance.

 

On utilise aujourd'hui un produit de synthèse obtenu par la technique de l'ADN recombinant (voir ci-dessous.

 

Chez l'adulte,  le traitement par l’hormone de croissance semble donner des résultats dans certaines pathologies sévères résultant d'un déficit de la molécule endogène.

 

Il a ainsi été noté : 

une amélioration nette de la capacité d'exercice physique et, en particulier, de la résistance à l'effort a été confirmée par des mesures objectives. Ses mécanismes sont multiples : augmentation du volume musculaire, mais également augmentation du débit cardiaque et stimulation de l'érythropoïèse...".

 

De plus, il semble établi que l'hormone de croissance potentialise l'effet des anabolisants.

 

Evidemment ces résultats ont attiré l'attention des docteurs Mabuse du sport, d'autant que le dopage avec cette hormone est difficile à apprécier (voir deuxième partie).

L'érythropoïétine (EPO)

La rolls du dopage ! On estime à au moins 10% le gain de performance d'un cycliste ayant bénéficié d'une "cure" d'EPO !

 

L'érythropoïétine est une hormone (une glycoprotéine) naturelle qui pilote la production des érythrocytes (globules rouges) par la moelle. Elle est produite au niveau du rein ainsi que dans une moindre mesure au niveau du foie. 

 

Un certain nombre de pathologies nécessitent l'administration d'érythropoïétine, en particulier pour les grands anémiés et les insuffisants rénaux sous dialyse.

 

Les "bienfaits" d'une oxygénation du sang étant bien connus des "médecins" du dopage (voir autotransfusion), il était fatal que l'EPO fasse son apparition chez les sportifs des disciplines les plus exigeantes (cyclisme, marathon...).

 

Il est facile de comprendre pourquoi l'EPO a un tel succès :

 

- " Après 6 semaines de traitement, l'augmentation de la consommation d'oxygène serait de 8% et celle de la performance de 16%." Dr Bjorn Ekblom (référence supprimée)

- l'hormone disparaît rapidement du sang (en 48h les taux sont revenus à la normale)... alors que ses effets se prolongent plusieurs semaines, ce qui rend presque inopérant le contrôle sanguin lors des compétitions.

 

La seule parade est un contrôle indirect basé sur le taux d'hématocrite ; il a été décidé par exemple qu'un cycliste dépassant un taux de 50% était inapte au vélo.

 

Il s'agit d'une méthode de dopage extrêmement dangereuse puisque l'épaississement du sang qui résulte de prises 'EPO, peut conduire à des thrombose. Ce qui explique pourquoi on réveillait les coureurs la nuit pour les faire pédaler !

 

 

L'EPO de synthèse, la technique de l'ADN recombinant

 

En 1977, l’EPO recombinante humaine (r-huEPO) est synthétisée : c’est la première hormone humaine fabriquée de façon industrielle. On utilise également la technologie de l'ADN recombinant.

 

Le terme d’«ADN recombinant» désigne le transfert d’un gène ou d’un fragment de gène dans de l’ADN étranger.

 

Voici comment AMGEN Technology, pionnier en la matière, décrit sa production d'EPO de synthèse.

 

 " A partir d'une toute petite quantité d'EPO humaine, nos scientifiques ont pu déterminer la séquence d’acides aminés d’une partie de la molécule d'EPO.

A partir de la séquence protéique, ils ont été en mesure de définir des morceaux d’ADN très courts (oligonucléotides) susceptibles de correspondre à la séquence d’ADN de l’érythropoïétine humaine. Parallèlement, des fragments d’ADN humain susceptibles de contenir le gène de l’érythropoïétine ont été aléatoirement clonés dans des cellules de bactéries. Il ont ensuite utilisé les oligonucléotides radiomarqués comme sondes pour identifier les séquences d’érythropoïétine par autoradiographie.

Grâce à cette méthode, les chercheurs ont réussi à isoler le gène de l’érythropoïétine humaine, puis, par des techniques de recombinaison, à introduire la séquence d’ADN codante dans des cellules ovariennes de hamster chinois et à leur faire produire la protéine humaine."

 

A partir de là il est très facile de préparer des variantes de l'EPO humaine en modulant les chaînes glycosylées, en modifiant quelques aminoacides du polypeptide.

 

Ces travaux ont évidemment conduit à une véritable "bombe dopante" : la CERA (Continuous Erythropoietin Receptor Activator) où une chaîne méthoxy-polyéthylèneglycol a été greffée sur la protéine ; elle est commercialisée par Roche sous le nom de Mircera.

 

Du fait de son gros poids moléculaire, cette EPO de 3ème génération est active plus longtemps dans le sang qu’une EPO classique, sa durée de vie prolongées permet de limiter le nombre d’injections en les espaçant. 

 

Il suffit donc d'une piqûre dans les fesses tous les mois pour transformer un cyclotouriste en vainqueur du Ventoux !

 

Notons que son utilisation en milieu hospitalier est extrêmement contrôlée car elle présente de gros risques.

Pourquoi tant "d'asthmatiques" ont gagné le Tour de France ?

Salbutamol (ventoline)
Salbutamol (ventoline)

Depuis le début des années 90, le nombre de tours de France gagnés par des "asthmatiques" est impressionnant :

 

- Miguel Indurain : 5 (1991-95),

- Bjarne Riis : 1 (96),

- Jan Ullrich : 1 (97),

- Marco Pantani : 1 (98)

- Lance Armstrong : 7 (99-2005)

- Chris Froome : 1 (2013)

 

Tous présentaient un certificat médical validé par les autorités du cyclisme.

 

L'explication coule de source : ce précieux sésame permet de se "soigner" avec des molécules de la famille des bêta-2 agonistes (ou bêta-adrénergiques), dont le fameux salbutamol (Ventoline). Ces produits sont des bronchodilatateurs mais aussi des anabolisants : ils procurent à la fois une amélioration de la fonction respiratoire, un mieux-être cardio-respiratoire... mais aussi une augmentation de la masse musculaire. Tout pour plaire au cycliste !

 

Notons cependant que d'autres sports sont concernés ; ainsi le nageur français Alain Bernard était "asthmatique" à l'époque où il survolait le 100m libre.

 

La synthèse du salbutamol racémique (on ne note pas d'activité supérieure des énantiomères purs), ne présente aucune difficulté. De nombreuses voies de synthèses sont envisageables ; au départ de l'aspirine par exemple.

Le petit dernier : le pot "GSK"

5-Aminoimidazole-4-carboxamide-1-beta-D-ribofuranosyl 5'-Monophosphate (AICAR)
5-Aminoimidazole-4-carboxamide-1-beta-D-ribofuranosyl 5'-Monophosphate (AICAR)

Le tout dernier " pot belge " consiste à associer un cardioprotecteur connu de longue date, l'AICAR, à une molécule commercialisée par le laboratoire Glaxo (GSK), le GW50 1516 (Endurobol).

 Avec ce cocktail, les souris "pédalent" 44% de plus sans fatigue ! 

 

Les dernières "recherches" en cyclisme s'orientent vers ce type d'association (en synergie), permettant de façon concomitante perte de poids, gain de puissance et diminution des sensations de fatigue.

 

Inutile de préciser que les consommateurs risquent leur peau !

Pour masquer le tout, les diurétiques

Furosémide
Furosémide

 La liste ci-dessus n'est pas exhaustive,  il existe bien d'autres produits dopants !

 

Pour terminer, un mot des diurétiques, très utilisés dans des sports à limite de poids (perte rapide d'eau sans perte musculaire), mais surtout employés comme produits masquant, notamment en cyclisme. Ils permettent en effet d'éliminer très rapidement les anabolisants.

 

Le furosémide, médicament essentiel pour les néphrologues, est très efficace dans ce domaine. C'est un dérivé à noyau sulfamide dont la synthèse ne pose pas de gros problème au chimiste.

 

Le chimiste, involontairement, est donc le cerveau et le bras... du dopage. Mais le chimiste a des outils puissants de séparation et d'identification de molécules qu'il va mettre au service de la lutte antidopage.

 

Nous venons de voir un mauvais usage de la chimie, je parlerai ensuite du bon usage dans le même domaine.

 

A suivre : " Les outils du chimiste au service de la lutte antidopage"