Ne pas croire aux croyances communes, c’est évidemment croire à soi, et souvent à soi seul… 

Paul Valéry

 

« Nulli concedo » (Je ne fais de concessions à personne ) 

Erasme

 

 

 

 Rebelles, Résistants, Révolutionnaires...?

 

Au présent, tout pouvoir établit criminalise les rebellions.
Au passé, toutes les mémoires institutionnalisées tendent, au contraire, à les sanctifier.

JFKahn

 

Douter, c’est déjà se rebeller ", dit le philosophe François Dagognet.

 

" La définition du rebelle (bellum, ‘ la guerre ’) va de soi : il déclare la guerre au système, quel qu’en soit la nature (politique, scientifique, esthétique, administratif); il en dénonce la nocivité; il pousse à la révolte. Le novateur et même le séditieux se bornent à compléter le système; parfois même, ils le rééquilibrent et le renouvellent. […] Le rebelle attaque le système même, en son cœur. Ainsi sera-t-il poursuivi, condamné, persécuté même. Il nous prive tout à coup de nos marques, de notre assurance. Tel est le rebelle : il s’en prend au centre institutionnel. […]

 

Que disent les dictionnaires ?

 

Rebelle ( étymologie : Lat. rebellis, de re, et bellum, guerre : qui recommence la guerre) : Qui refuse de se soumettre à l'autorité.

 

Synonymes :  contestataire, désobéissant, dissident, factieux, frondeur, indiscipliné, insoumis, insubordonné, insurgé, insurrectionnel, mutin, récalcitrant, réfractaire, résistant, rétif, révolté, révolutionnaire.

 

Le rebelle : ni révolutionnaire ni réformateur ?

 

Le rebelle n’est pas réformateur :

Etre réformateur suppose l’interaction avec le système dominant. Et le rebelle considère que seule une interaction est acceptable, la confrontation. Les autres modes sont inacceptables. Le rebelle condamne par conséquent les actions visant une réforme progressive des pratiques.

 

Le rebelle n’est pas révolutionnaire

Etre révolutionnaire suppose un projet post révolutionnaire. C'est-à-dire la réponse à la question : «que faire après la révolution ?»

Et de projet post-révolutionnaire, le rebelle n’en a pas.

 

En fait on associe plutôt les termes de rebelle et de résistant.

On est d'abord rebelle (péjoratif?) puis on devient résistant (et éventuellement ensuite révolutionnaire ?).

 

Jean Moulin est rebelle puis résistant.

 

Les Fils de la Toussaint : des rebelles (ou des terroristes) pour l'occupant français, des résistants pour les algériens. Reproduction des qualificatifs appliqués aux gaullistes durant la dernière guerre.

 

Mais la classification est souvent délicate.

 

Gandhi : rebelle, résistant ou révolutionnaire ?

 

Rebellion d'aujourd'hui ? Voir par exemple Les Mutins de Panurge (Philippe Muray, thèse des nouveaux réactionnaires ou anarchistes de droite).

 

A propos du Traité du Rebelle, de Jünger : notes pour le jour

 

Le 7 mars 2005 par Anna Sprengel  (extraits) :

 

 " Ce qui d’emblée frappe à la lecture du Traité du rebelle, petit ouvrage écrit en 1951, dense et lumineux, d’un auteur que l’on ne connaît pas encore assez, c’est son actualité. Sans doute en est-t-il ici comme du Discours de la servitude volontaire, de La Boétie : il traversera les siècles avec la légèreté d’un texte sans âge, offrant ses ressources à tous les peuples écrasés par un pouvoir totalitaire, en appelant sans délais à un mouvement de résistance.

 

Car quoi de plus banal que de constater, au fil des ans, le nombre toujours plus accablant de petits chefs, de dictateurs, et autres assemblées exécutantes plutôt qu’exécutives, dès lors qu’il n’y a plus de contre-pouvoir ?

 

Résister, c’est alors le mot d’ordre le plus commun, le plus inactuel, qu’il faut sans cesse répéter, avec le courage qui chaque fois l’accompagne. Et si hic et nunc nous ne sommes pas en temps de guerre, sachons cependant repérer les censures, les autocensures, et les abus de pouvoir amoindrissant les libertés.

 

L’opposition des rebelles s’était dissoute dans la propagande marchande, pour aller du côté d’un combat entre David et Goliath qui était perdu d’avance, parce qu’il était codé, et que les personnages étaient d’avance neutralisés.

C’était là oublier un des premiers points de Jünger, l’un de ses premiers principes : dire « non » dans un lieu agréé, autorisé, ne suffit pas ; il faut frapper précisément là où l’on ne s’y attend pas, sans quoi la protestation reste vaine et sans trace. Elle servirait même, plutôt, ceux dont on veut se défendre, en étant discréditée puis récupérée…

 

Ainsi commence et finit le Traité du rebelle  : pourrons-nous délivrer l’homme de la peur ?

 

Pourrons-nous dessiner, face aux nécessités de notre temps, un nouvel espace de liberté ?

Le chemin pour y parvenir est sinueux, escarpé, mais il existe en chacun de nous, en chaque personne digne de ce nom, douée de courage, et que la figure du Rebelle, après celle du Travailleur, guide.

Chaque époque a ses démons, chaque époque a aussi ses antidotes aux poisons qui s’insinuent dans nos esprits, que le Traité nous apprend à voir…

 

On peut, curieusement, faire un parallèle politique entre d’une part la mise en place lente et assurée d’un libéralisme sauvage, et d’autre part l’augmentation constante des "forces de l’ordre", des vigiles, des caméras de surveillance, dans des lieux publiques ou privés.

A croire que les réformes ne se font que sur un terrain de révolte, où l’Etat policier doit imposer des lois sans que celles-ci aient été validées par ceux qui la vivent.

 

Mais, confiné dans la crainte du lendemain, quand ce n’est pas dans la peur exagérée de groupes en marge qui font office de boucs émissaires, l’homme d’aujourd’hui, perdu dans la jungle économique, se voit acculé à une précarité inconfortable, cynique, et embarqué sur un navire - pour reprendre l’image de Jünger - qui semble s’emballer vers la catastrhe.

 

C’est là que se jouent les tours de force : mais cette réponse par la contrainte ne fait que maintenir et reconduire la peur, l’automatisme en jeu dans notre société, par quoi il semble que l’homme n’ait aucune prise sur les événements qui font son quotidien. Mené contre son gré, son angoisse et son ressentiment refluent dans les bas-côtés, alors que la communauté selon le pacte devait lui offrir le confort et la sécurité…

 

S’il prend conscience de cet état de passivité obligée, et qu’il veuille alors quitter le navire : différents discours de propagande l’incitent à ne pas s’y opposer : on lui parle de liberté, quand il s’agit d’être sans cesse mobilisé pour des combats qui ne sont pas les siens.

 

On lui parle de confort, quand il s’agit de toujours se dépasser sans compter, de participer au mouvement continu d’une société incapable de le protéger.

Il ne cherche plus qu’à s’abriter et à survivre, mais on lui offre un maigre asile consumériste où les corps sont contrôlés, les groupes surveillés.

Sa grande précarité l’empêche de bien voir où il va ; embarqué, il perd la distance qu’il lui faudrait pour analyser sa situation de servitude volontaire, aveugle et impuissant face à l’autorité…

 

Comme nous nous levons, chaque matin, pour assurer notre subsistance, le Traité nous montre qu’il est plusieurs chemins possibles, qui ne sont pas forcément contraires à notre salut, qui ne nous amènent pas nécessairement à la catastrophe, mais des chemins de traverse qui nous forgent jour après jour un destin.

 

C’est à les choisir que la personne engage le plus grand courage ; c’est de la découverte de ses ressources, des mythes ancrés en nous, que naissent tous les Rebelles, rares hélas, qui nous ouvrent au lendemain. "

 

 

Le Rebelle, vu de droite :

 

 Robert de  Herte (Alain de Benoist, Nouvelle Droite), Revue Eléments :

 

" Dans son Traité du Rebelle, Ernst Jünger écrivait en 1951 : « Deux qualités sont indispensables au Rebelle. Il refuse de se laisser prescrire sa loi par les pouvoirs, qu'ils usent de la propagande ou de la violence. Et il est décidé à se défendre".

 

Le rebelle refuse en effet l'ordre que s'est donné le monde au sein duquel il a été jeté. Il le refuse au nom d'une légitimité excédant toute légalité. Il le refuse, parce que c'est en lui-même qu'il trouve la légitimité et la norme - non qu'il les calque platement sur ce qu'il est, mais parce qu'il sait que ce qu'il est est aussi le lieu d'une norme qui le dépasse. Et son refus est total. Le rebelle est celui qui ne cède pas, dédaignant ce qu'on lui fait miroiter : honneurs, intérêts, privilèges, reconnaissance. Esprit libre, homme libre, il ne met rien au-dessus de la liberté de l'esprit et de la personne.

Il est la liberté même. « Est rebelle, quiconque est mis par la loi de sa nature en rapport avec la liberté » (Jünger).

Mais il n'est pas seulement un insoumis. Certes, comme le résistant ou le dissident, le rebelle est la preuve vivante qu'une alternative est toujours possible. Mais sa rébellion n'est pas seulement liée aux circonstances. Elle est d'ordre existentiel. Le rebelle ressent physiquement l'imposture, il la ressent d'instinct.

On devient dissident, mais on naît rebelle. Le rebelle est rebelle parce que tout autre mode d'existence lui est impossible. Le résistant cesse de l'être dès qu'il n'a plus les moyens de résister. Le rebelle, même emprisonné, continue d'être un rebelle. C'est pourquoi, s'il peut être perdant, il n'est jamais vaincu. Les rebelles ne peuvent pas toujours changer le monde. Le monde, lui, n'a jamais pu les changer.

Le révolutionnaire poursuit un objectif, ce qui n'est pas nécessairement le cas du rebelle.  Le révolutionnaire entend parvenir à un but là où le rebelle incarne avant tout un état d'esprit. Pareillement, le rebelle méprise la surenchère extrémiste et le maniement supposé ravageur des slogans. Il n'est pas de ceux qui se bornent à annoncer l'Apocalypse sans avoir le moindre moyen d'y remédier. Antigone est étrangère au narcissisme de la radicalité.

 

Jünger dit encore qu'il appelle Rebelle « celui qui, isolé et privé de sa patrie par la marche de l'univers, se voit livré au néant ». Il écrit aussi : « Lorsqu'un peuple tout entier prépare son recours aux forêts, il devient puissance redoutable. »

 

Le Rebelle, vu de gauche  (*) :

 

Michel Onfray : Politique du rebelle, traité de résistance et d’insoumission, Grasset

 

 « L’autorité m’est impossible, la dépendance invivable, la soumission impossible ». Propos d’un homme qui est l’un des très rares intellectuels de notre époque à s’affirmer aussi nettement et radicalement du côté de la résistance et de l’insoumission, et ce en faisant état de sa fibre anarchiste.


Préoccupé depuis longtemps par « le jouir et le faire jouir », M. Onfray donne dans Politique du rebelle une dimension politique à sa philosophie hédoniste échafaudée dans l’Art de jouir et la Sculpture de soi : la construction est suffisamment argumentée pour devenir Traité (à l’usage des...) de résistance et d’insoumission.


Élaborer une politique hédoniste, libertine et libertaire qui, appuyée sur une mystique de gauche, soit à même de fournir des leviers pour réenchanter le monde et contribuer à l’épanouissement des individus : tel est l’objectif, le désir de M. Onfray.


Armé de son hédonisme, Onfray entreprend une relecture des champs philosophique, historique, économique et politique qui fondent notre vie sociale : le verdict est sans appel. Le champ humain est aujourd’hui dévasté : les idées dominantes n’ont été (et ne sont) que des mensonges sociaux – dont il ne reste, pour certaines d’entre elles, que credo poussiéreux et dogmes pulvérisés. Des mensonges dont les individus sont les éternelles victimes.

 Onfray nous dit également la nature intrinsèquement corruptrice du pouvoir, un pouvoir qu’il serait vain de considérer de manière monolithique. De toute évidence, le pouvoir ne peut plus, de nos jours, exclusivement s’identifier à l’état : il est de partout, fait de multiples micro-fascismes s’insinuant dans tous les pores de notre société.
 
Quand bien même il éprouve davantage de sympathie pour Bakounine que pour Marx (les professionnels de la révolution lui font horreur), Onfray mêle dans un même opprobre les idéologies collectives que furent au xixe siècle le marxisme et l’anarchisme.
 
 En observant bien ce qui bouge aujourd’hui, Onfray pourrait trouver, en écho à ses préoccupations hédonistes et rebelles, des individus qui, comme lui, s’interrogent sur la nature du pouvoir, sur la notion de classes dans notre société moderne, sur la difficulté à bâtir des alternatives crédibles en matière de projet politique et à faire vivre une utopie dont Onfray dit lui-même « qu’elle n’est pas nulle part pour toujours, mais pas encore quelque part, non encore incarnée, en acte, mais superbement en puissance ».


 Pour autant, on ne peut que s’interroger sur les limites des capacités assignées aux protagonistes du changement hédoniste généralisé à venir tant la production principale semble être, chez les habitués du non, celle de l’ego.


A-t-on jamais vu un dandy se préoccuper des souffrances de son prochain ? Et que dire des libertins qui, de leur proximité avec le pouvoir, retirent des prébendes à servir leur maître ?


Certes, la force (plutôt que la violence), le syndicalisme révolutionnaire, la réactualisation de la pensée 68 nourrie au nietzschéisme de gauche façon Bataille-Foucault-Deleuze peuvent aider à déplacer les montagnes. Mais serait-ce suffisant pour abattre l’adversaire clairement désigné : le mode hégémonique de production libérale ?
Le doute est permis. "

 

Bernard Hennequin, Réfractions n°2 (extrait)

 

(*) : aujourd'hui le "de gauche est de trop" ! Onfray, en mal de reconnaissance,  flirte dangereusement avec certaines thèses de l'extrême-droite.