Dans la présentation de ce site, que je commençais à construire dès 2008, j'avais notamment écrit ces deux phrases.
"J'ai compris qu'un scientifique, plus que tout autre pédagogue, doit être à l’écoute de son temps, suivre l’évolution de la pensée, être attentif aux mouvements d’idées et avoir des repères dans l’histoire de l’humanité."
"Donner à l'homme le moyen de s'affranchir de l'oppression, c'est l'éduquer, lui permettre d'activer sa propre réflexion, l'inciter au recul, à la distanciation."
JPL, 2008
Déjà s'annonçait ce nouvel âge de glace, ce repli vers le religieux, vers son clan, ce retour vers l'irrationnel, qui périodiquement dans l'histoire, agitent les sociétés et les hommes.
Il est vrai que l'extrême complexité du monde du vivant, que les dernières décennies avaient révélées, n'avaient fait qu'aggraver le sentiment de fragilité de l'espèce humaine.
Déjà les multiples blessures narcissiques, que la science avait infligées à l'homme au cours des siècles (Copernic, Darwin, Freud...) avaient exacerbées cette l'angoisse existentielle propre à l'humain.
"« L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. (…) Il sait maintenant que, comme un tzigane, il est en marge de l’univers où il doit vivre, un Univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs comme à ses souffrances et à ses crimes »...,
écrivait déjà le prix Nobel de médecine, Jacques Monod, en 1970 ("Le Hasard et la Nécessité")
De tout temps, les scientifiques ont souffert de ces révoltes devant le néant qui nous semble promis, l'inquisition n'a pas touché que les juifs et les apostats.
La tentation était donc très forte pour eux de se terrer dans la paix relative de leurs laboratoires et de se tenir à l'écart du tumulte du monde, d'autant que leur intervention lors de la dernière guerre mondiale, à l'initiative d'Albert Einstein, avait traumatisé la communauté.
Ce n'était pas - et depuis longtemps- mon sentiment - le scientifique au contraire doit être au coeur des débats de son temps, s'engager - non dans des querelles politiciennes - mais pour défendre - ce qui est au fond sa raison d'être - la quête de la vérité.
L'arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2016 aux USA a provoqué un électrochoc dans la communauté scientifique américaine, qui constitue - et de très loin - le potentiel principal de la recherche mondiale - et son avant-garde - dans pratiquement tous les domaines.
Pendant ce mandat cauchemardesque, où des instituts prestigieux ont été démantelés ou asphyxiés financièrement, nombre de chercheurs de haut rang ont commencé à réagir, notamment par le biais d'articles dans les deux revues mondiales de référence : Nature et Science (éditée par l'American Association for the Advancement of Science : AAAS).
Ce cauchemar n'est malheureusement pas terminé et la constitution du cabinet Trump II, annonce le pire :
- par la promotion à des postes clés des pires climatosceptiques,
- par la nomination à la tête de grandes institutions, comme le NHI (National Institutes of Health) de personnalités qualifiées au mieux d'excentriques ou de marginales par les observateurs polis et de dangereuses pour les autres.
La nomination d'une catcheuse à l'éducation et du fils de Robert Kennedy, que sa famille et bien d'autres, qualifient de "dérangé", dans le domaine de la santé et de l'industrie pharmaceutique sont d'autres signaux inquiétants pour la profession.
C'est pourquoi la riposte est nécessaire et nombreux sont maintenant les savants qui sont prêts à croiser le fer.
En témoigne ce long éditorial de Science, qui n'a pas pour habitude d'intervenir dans ce domaine.
L'auteur signale tout d'abord qu'une enquête, menée en octobre 2024 auprès de 9 593 adultes aux États-Unis, indique que 76 % des Américains ont désormais une grande confiance ou une assez grande confiance dans les scientifiques pour agir dans le meilleur intérêt du public.
Cela donne donc aux scientifiques une certaine autorité pour intervenir publiquement sur les sujets qui les concernent.
Cependant la propagande clivante de Trump a été en partie efficace puisque si la confiance est de 88% chez les Démocrates, elle stagne à 66% chez les Républicains.
Le débat est donc ouvert entre ceux qui pensent que les scientifiques doivent rester strictement "apolitiques" et ceux qui pensent "qu'une opposition totale à chaque attaque est nécessaire et appropriée".
Ceux-là sont majoritaires, si l'on en croit le courrier reçu par la revue.
Ainsi Katharine Hayhoe, une scientifique de l’atmosphère largement saluée pour sa capacité à communiquer avec des publics divers sur le changement climatique, pense qu’un choix entre plaidoyer et objectivité est une fausse dichotomie.
« Comme les philosophes l’ont longtemps soutenu », dit-elle « s’engager auprès de la société n’est pas une trahison de la science ; c’est un élément fondamental de son objectif, en particulier dans les crises complexes comme celles auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Prétendre que la science est dénuée de valeurs revient à ignorer la réalité dans laquelle nous vivons : chaque étape, de la recherche au dialogue sociétal, a un poids éthique.
La communauté scientifique a l’occasion d’apprendre du passé et de planifier l’avenir.
" les scientifiques ne sont pas seulement des cerveaux dans des bocaux ; nous sommes des êtres humains intégrés dans la société, apportant à la fois raison et principes à notre travail. » Les scientifiques doivent trouver de nouvelles approches pour projeter cette humanité de manière efficace." Katharine Hayhoe
C'est tout à fait ce que je pense et si - la science nous en préserve ! - les clones de Trump venaient à diriger ce pays, je veux croire que nos savants sauraient avoir la même réaction (même si l'affaire Raoult ne me rassure pas !).
Après tout, 92% des Français ont une bonne image de la science (hélas ce chiffre baisse significativement chez les jeunes, adeptes des réseaux sociaux).
Jean Pierre Lavergne, ancien professeur émérite, Université de Montpellier - Nov 2024