De gauche à droite, les trois prix Nobel français 1912 : Victor Grignard et Paul Sabatier (chimie), Alexis Carrel (physiologie et médecine).

 

 

La résistible ascension d'un fils de prolétaire

Si les études et la carrière de Paul Sabatier, issu d'un milieu bourgeois aisé, furent dépourvues d'embûches (voir précédemment), il n'en fut pas de même pour Victor Grignard dont le père, ouvrier, puis chef de chantier à l'arsenal de Cherbourg, ne roulait pas sur l'or.

 

Brillant élève, bachelier à 16 ans, notre futur prix Nobel (né en 1871) ne put réunir les fonds pour préparer le concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure.

 

Il obtient finalement, après son service militaire, une licence de mathématiques à Lyon.

 

Pour vivre,  Grignard accepte, en décembre 1894, un poste de préparateur adjoint dans le service de chimie générale de la Faculté des Sciences de Lyon.

 

En 1895, il est promu préparateur de Philippe Barbier, élève de notre fameux Berthelot, mais "esprit très indépendant, qui n'avait pas craint, malgré l'autorité du Maître, d'adopter d'enthousiasme la théorie atomique."

 

Barbier étudiait les réactions d'halogénures d'alkyle sur des groupes carbonyle en présence de métaux (zinc, aluminium, magnésium...) en un seul pot ("one pot ").

 

Il demanda à Grignard d'étudier cette réaction - qui fonctionnait mal - avec le magnésium. Celui-ci eut l'idée de préparer séparément l'organomagnésien et de l'additionner ensuite au composé carbonylé, le tout dans de l'éther anhydre. On connait la suite !

 

La première note de Grignard est présentée à l'Académie des Sciences en mai 1900 (par Henri Moisan) ; plus de 500 publications concernant les réactifs de Grignard avaient paru 8 ans plus tard ! 

 

La carrière du futur prix Nobel fut erratique. Après avoir soutenu sa thèse à Lyon en 1901, il est successivement chef de travaux à Lyon, Maître de conférences à Besançon (1905), puis à Lyon (1906). Professeur-assistant, toujours à Lyon en 1908, puis professeur à l'université de Nancy en 1909.

 

En 1919, enfin, il prend la succession de Philippe Barbier à la Faculté des Sciences de Lyon.


A sa mort, en 1935, on dénombrait 6 000 arti­cles rela­tifs à la chimie des orga­no­ma­gné­siens ; lui-même était l'auteur de 170 publications dans le domaine.

 

 

 Biographie plus détaillée : ICI et ICI

 

 

Les composés organométalliques : un pas de géant pour la synthèse chimique

 

Au début du XXème siècle, en mettant au point la synthèse d'organomagnésiens (souvent appelés réactifs de Grignard) et en étudiant leur réactivité, Victor Grignard a donné à la chimie organique une nouvelle et formidable impulsion.

 

Ces composés, où la polarité du carbone opposé à un métal électropositif est inversée, sont à la fois très basiques et capables de réagir avec un grand nombre de fonctions chimiques, dont la fonction carbonyle (voir la vidéo ci-après).

 

Ils appartiennent à la vaste famille des organométalliques, qui n'a cessé de se développer depuis les premiers organozinciques utilisés par le Russe Butlerov et ses élèves Zaïtzev et Reformatskii - tous issus de la formidable Ecole de Kazan-  à la fin du XIXème siècle.

 

Aujourd'hui, les organolithiens , les organocuprates , les organozinciques, les organoboranes, les organosilanes, les organostanniques... accompagnent les organomagnésiens dans les synthèses de laboratoire. Le choix du métal opposé au carbone permet de moduler la réactivité et éventuellement la stéréosélectivité.

 

Notons que d'autres prix Nobel de chimie ont consacré des chercheurs dans ce domaine :

 

Ernst Otto Fischer et Geoffrey Wilkinson, en 1973, pour les composés sandwich,

Yves ChauvinRobert Grubbs et Richard R. Schrock, en 2005, pour  les réactions de métathèse,

Richard HeckEi-ichi Negishi et Akira Suzuki, en 2010, pour les réactions de couplage catalysées par le palladium.