"Moi, mon colon, celle que j' préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit !"
Ironisait Brassens, l’antimilitariste.
14-18, guerre barbare, produit de l’affrontement des nationalismes français et allemand et de leurs appétits impérialistes. Boucherie effroyable dont l’issue, loin d’apaiser les esprits, fit le lit d’une autre ignominie, le nazisme, d’un nouvel affrontement et d’autres millions de morts.
Ce n’est donc pas la fibre patriotique ou guerrière qui m’incite à produire quelques extraits de lettres du front d’un grand-père, véritable miraculé de la grande guerre, puisque rescapé après plus de 4 ans de corps à corps, de bombardements, de tranchées, de gazages, d’assauts, de retraites… - finalement sur un petit périmètre, d’une bataille de la Marne à l’autre - mais bien un immense respect pour une génération d’hommes sacrifiés… pour rien !
Sylvain C., mobilisé le 2 août 1914 (il ne fut démobilisé en Allemagne occupée que le 23 août 1919) raconte, dans la lettre à sa fiancée reproduite en partie ci-après, son début de campagne depuis le 3 août et un des « miracles » qui firent de lui un survivant.
Vassieux, le 30 octobre
1914
Bien chère Carmen,
…
Que je te dise que bien des choses te paraîtront invraisemblables, tant à cette heure ci
on voit l'irréalisable se réaliser !!!
...
Tu entendras parler de Montmirail, Champaubert, Esternay, Montceaux-lès-Provins, Craonne, Pontavert, […], partout j’ai combattu, partout j’ai été au feu.
Sans avoir une égratignure. C’est vraiment miraculeux !
Cependant nous poursuivons bon train l’ennemi ; un peu trop vite peut-être.
Le 29 septembre la division contourne un bois, un bataillon ennemi est au centre, notre artillerie tire dessus. On fait 200 prisonniers ; il est 3 heures, on est à ce moment sur le plateau de Chéry tout près de Fismes (Marne).
Le régiment fait halte sur le haut de la plaine. Il pleuvait, il y avait du brouillard. Lorsque ce dernier fut dissipé, vers 5 heures, un premier obus arriva sur nous. Un gros obus allemand de 105 mm. L’artillerie allemande était en face de nous et commençait à nous bombarder.
Ce fut au galop que nous cherchâmes à fuir, mais tous les 10 m un obus balayait la plaine, pas un abri…
A un mètre de notre groupe un obus tombe et éclate, mes camarades sont broyés. Moi j’ai l’impression de m’élever en l’air. C’était vrai, je tombe dans le trou creusé par l’explosion sans une égratignure…
Je suis reparti au galop sur un cheval resté en panne… depuis je vivote dans de petits dépôts aux chevaux…
Hier soir (29 octobre 1914) on nous a annoncé que nous allions repartir au feu, ce sera de cœur joie. J’aurai encore le plaisir de tuer quelques boches et si la chance me sourit comme elle l’a fait jusqu’ici, je te reviendrai en juin. Ensemble ma jolie, souhaitons qu’il ne se fasse pas trop attendre.
Sylvain C.
Extrait de la page 4 d'une lettre de 4 pages (format A4) d'écriture serrée, (numérisation ci-dessous).
Il rédige ce courrier quand, après la première victoire de la Marne, le Général Joffre donne l’ordre aux troupes anglo-françaises de remonter vers le nord. A partir du 13 septembre 1914, Français et Anglais, poursuivant leur contre-offensive, franchissent l'Aisne et se heurtent aux Allemands qui s'accrochent au plateau du Chemin des Dames (voir bataille de l’Aisne et course à la mer ).
Ceux-ci opposeront une résistance farouche et resteront maître du plateau à partir de novembre 1914. Ce sera le début de la guerre des tranchées.
Cette grande guerre, qu’il accomplit de bout en bout au sein du 10ème régiment de Dragons (engagé en 1914 dans les batailles de la Marne, de l'Aisne et des Flandres) valut à mon grand-père citation et croix de guerre (que je conserve « pieusement »), mais aussi une hémiparésie qui finira par l’emporter en 1936, à l’âge de 40 ans.
On voit sur la carte ci-dessus, la situation du 10ème D.C sur le plateau de Chéry (cité dans la lettre) aux abords de la ville de Fismes, en septembre 1914.
Vassieux, d'où est rédigé ce courrier, est un hameau de la commune de Dormans (Marne).
Sur la campagne du 10ème D.C., voir ICI.
A noter que la ville de Fismes, au coeur d'une région qui fut le théâtre des deux batailles de la Marne, a été complètement détruite par les bombardements allemands en 1918.
Gabriel Chevalier , l'auteur de " Clochemerle ", écrit ceci dans " La Peur " :
Nous sommes dans Fismes, la ville des suprêmes débauches. Tous les rez-de-chaussée sont les épiceries qui débordent sur la voie. Nous n'avons jamais vu de telles pyramides de charcuteries appétissantes, de boîtes aux étiquettes dorées, un tel choix de vins, d'alcools, de fruits. Peu d'objets : ici on n'achète pas ce qui dure. Mais partout de la boisson et de la nourriture.
Les mercantis nous traitent comme des chiens et nous annoncent les prix d'un air de défi. Nous n'avons jamais payé aussi cher et les soldats murmurent. Les vendeurs leur lancent un regard froid, implacable, qui signifie : à quoi vous servira votre argent si vous n'en revenez pas ? C'est vrai ! Une détonation plus forte décide les plus économes ; ils se chargent les bras et tendent leurs billets.
Alors que les bruits de bottes s'amplifient, que suite à l'attentat de Sarajevo, l'Autriche a déjà déclaré la guerre à la Serbie (le 28 juillet), le 30 juillet, Sylvain C., en cantonnement à Montauban, écrit ceci à ses parents :
"... Comme vous devez le savoir, la situation de l'Europe étant excessivement tendue, la France prend ses précautions. Il n'y a pas lieu toutefois de trop s'alarmer et je pense bien que tout restera calme. Ne vous inquiétez pas pour tout ce que racontent les journaux car vous savez que ce sont des "bavardises" de correspondants plus ou moins informés.
Les mesures que le gouvernement français prend en ce moment sont purement et simplement préventives..."
Et pourtant, ce jour même, la Russie alliée de la Serbie et de la France, mobilise. Le 1ier août, l'Allemagne déclare la guerre à la Russie.
Enfin le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France et envahit la Belgique, pays "neutre". Le lendemain le Royaume-Uni entre dans le bal et l'Europe s'embrase.
Il faut donc partir en campagne : lettre du mercredi 13 août 1914 :
"... Nous avons mis pied à terre au milieu d'un champ d'avoine dans une campagne que je ne vous décrirai pas, car cela nous est formellement interdit. Que je vous dise que nous n'avons pas trop souffert jusqu'ici...
J'aimerais bien avoir de vos nouvelles et je suis persuadé que vous m'avez écrit depuis le 2 août, dernière date à laquelle je vous ai vu...
Consolez-vous, je suis bien loin de vous en ce moment-ci. Je vous reviendrai bientôt et vous serez content d'apprendre tout ce que les événements actuels me forcent à vous cacher..."
Et rapidement le ton change : lettre du 28 août 1914 :
"... Aujourd'hui nous avons repos... nous en avions besoin... nous sommes presque méconnaissables. La journée d'hier a été chaude, les allemands reculent sur toute la ligne... Beaucoup de morts dans l'Infanterie, les allemands sont totalement fauchés, leur artillerie est bien inférieure à la notre. Avant-hier leurs obus nous éclataient à 10 pas...
Que je vous dise l'impression mes chers parents que l'on éprouve lorsque l'on entend siffler les balles et les obus. Un léger frisson vous court dans le dos, mais pas la moindre émotion... et c'est tout le temps que l'on voudrait charger...
Notre moral est excellent et de beaucoup supérieur au leur. Vous pouvez vous en rendre compte au nombre de prisonniers que nous avons fait...
Ne prévoit-on pas... la fin prochaine de cette campagne... je ne pense pas. Il est bon d'ailleurs qu'elle dure quelque temps de plus afin de nous débarrasser de ces brutes..."
Les combats vont donc devenir plus violents, plus meurtriers.
Sylvain C. sera blessé le 29 septembre (voir plus haut la lettre du 30 octobre 2014).
En novembre, les offensives et contre-offensives des deux camps se soldent par un quasi statu quo ; le front se stabilise sur près de 800 km, de la mer du nord à la frontière suisse... et des deux côtés l'on s'enterre. C'est le début de la guerre des tranchées.
"Les deux armées étant de forces égales, les assauts frontaux qui étaient la seule solution pour sortir de l'impasse, provoquèrent des pertes monstrueuses."
En décembre, la troupe comprend que la guerre sera longue...
Lettre du 6 décembre 1914 (page 3 ci-contre) :
"... Je ne puis vous donner des nouvelles de la campagne, comme moi vous lisez les journaux tous les jours.
Le grand coup que je prévoyais du 20 au 30 [novembre] ne s'est pas produit, ce sera pour plus tard.
A mon humble avis, la guerre durera plus encore que vous ne le pensez. Je vous disais la fin ne sera qu'au printemps, à présent je renvoie au milieu de l'été ! Enfin, advienne que pourra !!..."
Cartes et cartes-lettres 1915
Un mois avant l'armistice, le soldat Sylvain Cassé participe à sa dernière grande bataille, sans doute à une trentaine de kilomètres de Sainte-Menehould, pas très loin des lieux où il participa 4 ans plus tôt à la bataille de la Marne.
Une errance, sur finalement peu de distance, pour une boucherie qui aura fait, en Europe, 20 millions de morts et 21 millions de blessés et d'estropiés.
Il adresse alors ce courrier à sa famille, se félicitant de l'avancée de son régiment et faisant une nouvelle fois état de cette "chance qui lui sourit"... Il "en arrive à croire que ce sera toujours ainsi".
Hélas, peu de temps après, les séquelles de "l'incident", qu'il relate ainsi le 30 octobre 1914 -
"A un mètre de notre groupe un obus tombe et éclate, mes camarades sont broyés. Moi j’ai l’impression de m’élever en l’air. C’était vrai, je tombe dans le trou creusé par l’explosion sans une égratignure…
Je suis reparti au galop sur un cheval resté en panne… depuis je vivote dans de petits dépôts aux chevaux…"
- le contraindront progressivement à l'inactivité, à l'impotence et à la mort, en 1936.
...
Une belle Minerve est l’enfant de ma tête
Une étoile de sang me couronne à jamais
La raison est au fond et le ciel est au faîte
Du chef où dès longtemps Déesse tu t’armais
-------
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
...
Si je mourais là-bas... G. Apollinaire
Félix Vallotton (1865-1925) est un artiste unique qui, bien que proche des nabis, garde sa vie durant un style à la fois très personnel et résolument moderne. Reconnaissables entre toutes, ses toiles se distinguent par des couleurs raffinées et un dessin précis découpant la forme qu’il met également au service de la gravure. RMN Paris