“Le commencement de toutes les sciences, c'est l'étonnement de ce
que les choses sont ce qu'elles sont.”
Aristote
A la fin des années 60/70, cursus scolaire et universitaire achevés, bibliothèque personnelle ébauchée, qu'avions-nous retenu de ces monuments qui jalonnaient notre parcours dans l'histoire des
connaissances ?
Nous avions sans doute quelques repères :
Thalès et les premières démonstrations déductives, Pythagore et la science des nombres
Platon : le Banquet (discours de Phédre : " D'abord, il y eut le chaos, puis
la Terre et Éros..."), l'allégorie de la Caverne (Socrate dit à Glaucon : "Représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'instruction et à
l'ignorance....")
Aristote : La métaphysique (" Ainsi Etre se dit tantôt de ce qui est une substance réelle,
tantôt de ce qui n'est qu'un attribut de la substance, tantôt de ce qui tend à devenir une réalité substantielle, tantôt des destructions, des négations, des propriétés de la substance, tantôt de
ce qui la fait ou la produit ..." (Métaphysique, G, 2, 1003 b, 5-10), les 4 éléments ( la matière est continue et uniforme. Elle est composée de quatre éléments: terre,
air, eau, feu. Les quatre caractéristiques fondamentales sont: froid, sec, chaud, humide. Le vide n'existe pas)...
Da Vinci : la Joconde, les Carnets, François premier « Tous [les rois] honorèrent les artistes. Mais François Ier les aima. »,
Copernic, Galilée : Et pourtant elle tourne...
Descartes : Le Discours de la Méthode...
Newton : La pomme ("Pourquoi une pomme tombe-t-elle et pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas
?") , la gravitation universelle...
Diderot, Voltaire : Les Lumières
Darwin : De l'origine des espèces par sélection naturelle
Freud : L'inconscient (nous assimilons donc le système de l'inconscient à une grande
antichambre, dans laquelle les tendances psychiques se pressent, telles des êtres vivants...), la psychanalyse...
Marx : L'aliénation, le prolétariat (nous savons que les nouvelles forces de la société n'ont besoin, pour faire œuvre utile, que de nouveaux hommes. Ces
hommes, ce sont les ouvriers.)...
Einstein : La relativité (une indication de temps n'a de sens que si on indique le corps de
référence auquel elle se rapporte ). . .
Plus tard, soucieux de revenir aux sources de l'histoire des sciences, il éprouvera le besoin de retrouver le Siècle des Lumières et essaiera de
suivre Diderot dans les dédales de sa philosophie expérimentale.
Si à l'aube de la quarantaine, il s'interroge sur la nécessité d'une psychanalyse, alors il lira Freud, jettera un oeil sur Foucault et Lacan.
Soixante-huitard, ayant parcouru Marcuse, il voudra savoir si Freud est "marxo compatible" (ou vice versa).
Un peu dépassé par la physique moderne, sans doute cherchera-t-il à confronter à nouveau Newton et Einstein et à décoder les notions de temps absolu et de temps relatif.
Cet homme curieux, arrivé dans la seconde partie de son existence, est alors convaincu que si sa trajectoire a un sens, il trouvera le fil conducteur dans l'évolution de la pensée, de la
science, des idées, des arts... Alors il approfondira sa connaissance de Socrate et Platon et s'émerveillera devant Léonard.
Pour mesurer le chemin parcouru, sans doute reviendra-t-il à Aristote pour découvrir que finalement tous les problèmes fondamentaux étaient déjà posés, il y a près de
deux millénaires et demi.
Et il songera que le plus important ce n'est pas de donner la réponse, c'est
de savoir poser le problème.
" Un problème sans solution est un problème mal
posé "
Albert Einstein
... en écho à Gaston Bachelard :
« Toute frontière absolue proposée à la science est la marque d'un problème mal
posé..."
Ce que Claude Lévi-Strauss dit autrement :
" Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies
réponses ;
c’est celui qui pose les vraies questions.
"
Le cru et le cuit
Cette grâce... lui fait découvrir la richesse, la grandeur du plus humble des instituteurs de quartier : M. Germain "le Maître" comme on dit à
l'école. Ce laïc est un saint, un de ces républicains d'un puritanisme un peu quarante-huitard pour qui faire la classe ce n'est pas seulement préparer le certificat d'études mais éveiller des
consciences.
C'est auprès de M. Germain -qui a fait de lui son fils spirituel- qu'Albert Camus prend ce goût du dépouillement et de la frugalité... et qu'il
acquiert ces vertus des pauvres : l'honnêteté de penser, l'horreur de toute compromission et cette pureté de coeur qui feront de sa vie -sans Dieu- un apostolat...
Gilbert Graziani (journaliste Paris-Match), 1960 (mort de Camus).
M. Germain, instituteur du quartier populaire de Belcourt à Alger, fit obtenir à Albert Camus, pupille de la nation, une bourse pour entrer au lycée d'Alger. Il
y fit connaissance de Jean Grenier (philosophe, poète) en première supérieure qui devint à la fois son maître et son ami.
Septembre est souvent à Toulouse le mois le plus agréable, douceur de l'air allégé des touffeurs de l'été, parfum subtil des volubilis accrochés aux grilles des petits pavillons autour du
jardin des plantes, légèreté des femmes papillonnant devant les vitrines de la rue Alsace.
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche ou rosier.
- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : “Veux-tu en finir !”
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : “Oh ! c’est encor mieux !
Monsieur, j’ai deux mots à te dire…”
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…
- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Baudelaire
Savoir saisir le bonheur d'un instant, prendre le temps d'être heureux, je l'ai appris là dans cette nature brute,
sereine, où la vie prend son temps, garde ce rythme immuable que l'homme n'a pu altérer, pervertir.
En Occident, dans notre course au bonheur, sans cesse le bonheur nous fuit, sans cesse nous le rejetons.
A peine est-il entrevu qu'un nouvel appétit nous saisit, qu'un désir nous surprend que nous ne saurions ne pas satisfaire sans
qu'un regret ne corrode notre jouissance. Au bout du chemin, au bout de la course que nous reste-t-il, qu'avons nous obtenu?
Avons nous choisi ce bonheur médiocre qui déjà nous conduit vers la mort?
La fête !
Eux seuls ont vraiment conservé ce pouvoir magique de communion collective, de prière charnelle qu'est la fête.
Chaque moment de la vie reste l'occasion d'échapper à l'existence si triste, si banale, si fatalement misérable.
Un mariage, une circoncision, un retour et les femmes se fardent de khôl, s'inondent de henné et les hommes vont danser jusqu'à l'ivresse.
La fête c'est l'oubli, la revanche, l'illusion que recherchent solidaires ces familles si démunies. Solidaires aussi demain pour survivre, faire front dans la détresse.
Je songe à tous leurs enfants demi nus dont bien peu iront jusqu'au lycée et beaucoup grossir les rangs des désœuvrés et des voyous.
Dont la naissance, la vie et la mort reste encore entre les mains d'un destin que l'on appelle craintivement Dieu.
Sans partage, sans regret, sans recours.