L’étude du protéome révolutionne la connaissance du vivant

 

La protéomique désigne la science qui étudie les protéomes, c'est-à-dire l'ensemble des protéines d'une cellule, d'organites, tissus, organes ou organismes à un instant donné et dans des conditions données.


La protéomique s'attache à identifier les protéines extraites d'une culture cellulaire, d'un tissu ou d'un fluide biologique, leur localisation dans les compartiments cellulaires, leurs modifications post-traductionnelles ainsi que leur quantité. 


Elle peut également permettre de quantifier les variations de leur taux d'expression en fonction du temps, de leur environnement, de leur état de développement, de leur état physiologique et pathologique, de l'espèce d'origine. 


Elle étudie aussi les interactions que les protéines ont avec d'autres protéines, avec l'ADN ou l'ARN... La protéomique fonctionnelle étudie les fonctions de chaque protéine.

 

L'analyse protéomique est une étude dynamique. Un seul génome peut conduire à différents protéomes en fonction des étapes du cycle cellulaire, de la différenciation, de la réponse à différents signaux biologiques ou physiques, de l'état physiopathologique, ... 


Le protéome reflète les répercussions de ces événements cellulaires au niveau tant traductionnel que post-traductionnel.

 

Toutes ces données peuvent permettent de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliquées dans les grandes fonctions cellulaires. Il est par exemple possible d’étudier des voies de signalisation impliquées dans des processus biologiques ou dans l’apparition de maladies.

 

Les recherches en protéomique suscitent donc de grands espoirs dans le domaine de la médecine, en particulier en cancérologie, car c'est la compréhension de tout le processus de cancérogenèse qui est visée : base moléculaire à l'origine de l'initiation de la tumeur, détermination de biomarqueurs accompagnant le développement de la maladie... pour in fine déboucher sur la mise en place de protocoles de soins plus efficaces et mieux ciblés.

 

A travers le monde de nombreuses équipes multidisciplinaires travaillent dans différents domaines de la protéomique. Elles engagent de gros moyens, comme par exemple le Pôle Protéome De Montpellier (PPM) rattaché au BioCampus de Montpellier (CNRS, INSERM, Universités scientifiques)  qui dispose de 49 plateaux techniques. 

 

 

Le génome et le protéome

Le génome

 

Le génome est l’ensemble du matériel génétique d’un organisme. Il contient à la fois les séquences codantes, c’est-à-dire celles qui codent pour des protéines (transcrites en ARN messagers, et traduites en protéines), et les séquences non codantes.

 

Pour la majorité des organismes, le génome correspond à l’ADN présent dans les cellules. Cependant, chez certains virus appelés rétrovirus (par exemple le VIH), le matériel génétique est de l’ARN.

 

La génomique est l’analyse des génomes des organismes, tant du point de vue de leur anatomie (séquences et organisation) que de leur physiologie (expression et régulation).

 

Le séquençage du génome humain a été achevé en 2004, grâce au Projet Génome Humain (PGH). Il s'agissait d'une compilation de données recueillies sur plusieurs individus. Le premier séquençage réalisé sur un seul individu a été publié en septembre 2007. 

 

Le protéome

 

L’ensemble des protéines d’un organisme, d’un fluide biologique, d’un organe, d’une cellule ou d’un compartiment cellulaire est nommé « protéome ».

 

Le protéome est une entité dynamique et complexe. Au sein de chaque cellule, le contenu de protéines se modifie en permanence en fonction des conditions intra ou extra cellulaires. De plus, par le biais de réarrangements qui modifient ses fonctions biologiques, un même gène peut donner naissance à plusieurs protéines (jusqu'à 1000 !).

 

Le protéome contient donc un nombre beaucoup plus important de protéines que le génome ne contient de gènes. Le génome humain contient environ 21 000 gènes codant pour des protéines, mais le nombre total de protéines dans des cellules humaines est estimé entre 250 000 et un million.

 

La mise en évidence de biomarqueurs

 Si les domaines d’application de la protéomique sont vastes, la recherche de biomarqueurs permettant de dépister des pathologies, de suivre leur évolution et l’efficacité d’un traitement, est actuellement le principal moteur de développement de cette science. 

 

De tels biomarqueurs sont déjà connus, comme le PSA (une protéine) dans le cancer de la prostate, mais ils sont encore rares car ils doivent être très sensibles, spécifiques et leur utilisation doit être validée sur de grands échantillons.

 

La protéomique permet donc de réaliser des analyses ciblées qui visent à quantifier une protéine d’intérêt dans différents échantillons, afin d’étudier son rôle dans un système biologique. C’est par exemple ce qui est fait pour valider l’intérêt un biomarqueur dont le niveau d’expression est corrélé à un état physiologique normal ou pathologique, ou encore à la réponse à un traitement. 

 

Ce type d’approche permet aussi de suivre l’évolution d’un groupe de protéines pendant plusieurs semaines pour établir un profil d’expression en réponse à une perturbation.

 

Cette stratégie a par exemple été utilisée pour étudier les effets du docetaxel, un traitement anti-cancéreux. Les analyses ciblées permettent enfin d’identifier des complexes de protéines. C’est ainsi que l’équipe du Pr Aleksander Edelman (Inserm U845) a pu mettre en évidence une protéine jouant un rôle clé dans la mucoviscidose : la kératine 8. Les chercheurs ont montré que, chez une majorité de patients, la kératine 8 se lie à la protéine responsable de la maladie (CFTR) et altère son fonctionnement.

 

En 2010, les autorités de santé américaine ont par exemple approuvé un test fondé sur la détection de cinq biomarqueurs protéiques sanguins afin d’évaluer le volume de la tumeur maligne de l’ovaire avant chirurgie (OVA1).

 

Le projet européen DECanBio, coordonné par le Dr Jérôme Garin (CEA/Inserm/UJF U1038), va également dans ce sens. Il consiste à découvrir et valider l’utilisation de biomarqueurs urinaires permettant de détecter de façon précoce des récidives du cancer de la vessie. Pour cela, les chercheurs étudient le protéome urinaire de personnes atteintes de ce cancer, identifient des biomarqueurs potentiels et confirment leur validité dans une large cohorte de patients issue de deux pays européens et atteints de pathologies pouvant être confondues avec le cancer de la vessie. L’objectif est de s’assurer de la spécificité des biomarqueurs découverts.

 

Ces biomarqueurs sont utiles en cancérologie mais également dans bien d’autres domaines thérapeutiques. Ainsi, l’équipe de Virginie Brun (CEA/Inserm/UJF U1038) a validé l’intérêt du dosage sérique de cinq biomarqueurs de l'infarctus du myocarde ainsi que celui du dosage sérique extrêmement sensible d'une toxine staphylococcique (entérotoxine A) responsable de plus de 70 % des intoxications alimentaires en France. Source INSERM

 

 

Human Protein Project

L'intérêt suscité par la protéomique a conduit, en 2011, à la mise en place d'un vaste projet international, sur le modèle de celui qui existe en génomique.

 

Piloté par l’Human Proteome Organisation (HUPO), une organisation internationale, il consiste à créer une base de données unique permettant de décrire les protéines correspondant aux 20 300 gènes codants chez l’homme.

 

Les différents pays partenaires de ce projet se sont répartis les chromosomes qu’ils annotent progressivement. La France est en charge du chromosome 14.

 

D’autres volets de ce projet consistent à caractériser les protéomes du plasma, du foie, du cerveau, du système immunitaire, du rein, de l’urine ou encore du système cardiovasculaire.

 

L’hétérogénéité des protéomes d’un individu à l’autre et leur caractère dynamique rendent cet exercice difficile, mais il présente l’avantage de promouvoir la protéomique et de stimuler les coopérations internationales.

 

La spectrométrie de masse outil de base de la protéomique

La spectrométrie de masse au cœur du projet

 

La spectrométrie de masse consiste à identifier des molécules en fonction de la mesure précise de leur masse.

 

L’étude des protéines a connu un essor spectaculaire au cours des années 90, avec l’avènement d’appareils - les spectromètres de masse - compatibles avec l’analyse de ces grosses molécules (ce qui valu le prix Nobel de chimie en 2002 à John Fenn et Koichi Tanaka)

 

Jusque-là, les scientifiques utilisaient une méthode chimique qui nécessitait de purifier des quantités importantes de chaque protéine avant de pouvoir en déterminer la séquence en acides aminés.

 

La spectrométrie de masse, qui impliquait des méthodes d'ionisation très énergétiques (comme l'impact électronique), avait longtemps été réservée à l'analyse de "petites molécules". La mise au point de méthodes "douces" d'ionisation a donné à cette spectroscopie une toute autre envergure, car dès lors elle pouvait être employée pour des molécules plus lourdes et plus fragiles : les molécules du vivant.

 

La technique MALDI-TOF, qui combine un faisceau laser pulsé pour l'ionisation de molécules déposées sur une matrice, et un analyseur à "temps de vol", est le plus souvent utilisée en protéomique.

 

Dans le même temps les progrès colossaux de l'informatique (de la bioinformatique) ont permis de créer de gigantesques bases de données, qui permettent de traiter en temps réel les résultats de l'analyse spectrale.

 

Aujourd’hui, les spectromètres de masse permettent donc d’analyser des échantillons biologiques complexes, pouvant contenir des milliers de protéines, dont certaines présentes en très faible quantité.

 

Avec les spectromètres de masse les plus récents, il devient même possible d’étudier des protéines entières, sans séquençage préalable. 

 

L’imagerie par spectrométrie de masse MALDI permet par ailleurs de faire du « profiling » du contenu protéique. L’appareil est par exemple capable de balayer une coupe d’échantillon et de restituer les masses mesurées sous forme de signaux de couleurs avec une très bonne résolution. Chaque protéome possède ainsi un profil sous forme de pics de couleurs.

 

En cancérologie, le fait de comparer le profil issu des cellules d’un patient présentant une tumeur avec celui de personnes saines peut par exemple aboutir à la mise au point d’un protocole permettant de détecter une tumeur maligne.

 

Ce dispositif est également de plus en plus utilisé en milieu hospitalier dans le domaine de l’infectiologie, pour caractériser des agents pathogènes en fonction de leur « profil MALDI ».

 

 

Pour l'analyse du protéome, on peut aussi mentionner les puces à protéines qui sont de puissants outils pour la capture et la mesure de protéines à partir d'échantillons biologiques dans un mode à haut débit. Une puce à protéine se compose généralement d'un petit morceau de verre ou de plastique recouvert avec des milliers de "réactifs de capture" (molécules qui peuvent "attraper" des protéines spécifiques). 

 

 

Dans l'actualité

Les moyens mis en oeuvre commencent à porter leurs fruits et deux groupes de recherche indépendants viennent de publier, de façon concomitante, une carte très avancée du protéome humain. Une première "copie" très prometteuse.

 

La première étude est le fruit d'une collaboration internationale entre des chercheurs indiens et américains ; l'autre travail a été conduit par des chercheurs allemands.

 

Il s'agit d'une coincidence surprenante, car les deux groupes ont travaillé simultanément sur un même projet, sans connaître les recherches de l'autre.

 

Les chercheurs de l'Institut de Bioinformatique de l'Université Johns Hopkins à Baltimore, dirigés par Akhilesh Pandey, - et leurs partenaires – ont pu cartographier les protéines codées par 17 924 gènes (soit environ 84 pour cent de tous les gènes annotés).

 

Ils ont utilisé 17 tissus différents d’adultes, 7 tissus de fœtus et 6 cellules hématopoïétiques. Le protéome de chacun de ces tissus ou cellules spécialisées peut ainsi être mis en relation avec la partie du génome qui s’y exprime.

 

Les scientifiques vont donc pouvoir comparer le protéome presque complet d’un fœtus et d’un adulte, analyse fondamentale pour la connaissance de la biologie du développement.

 

L'équipe allemande conduite par Bernhard Küster de l’Université Technologique de Munich, a publié au même moment les résultats obtenus par l'analyse de tissus en spectrométrie de masse (plusieurs dizaines de millions de spectres exploités !). Les chercheurs de la TUM ont produit un inventaire presque complet (92%) du protéome humain.

 

A noter que des protéines qui ont été codées par des gènes désignés comme "junk" (ou ADN non codant), ont été identifiées par les deux équipes. Ces résultats prouvent que beaucoup reste à découvrir à propos de la fonction de nombreux gènes. 

 

Ces articles ont été publiés dans la revue Nature du 29 mai 2014. Les deux équipes ont mis en ligne leurs base de données, ouvertes gratuitement à tous les scientifiques des laboratoires publics (Human proteome map et Proetomics DB).

 

 

L'approche "omique"

Nous voici dans le domaine de la Big-Science !

 

La biologie fournit un nombre de données astronomiques. Vouloir traiter l'ensemble de ce qui constitue le génome, le protéome, le transcriptome et le métabolome, apparaissait comme utopique il y a encore 10 ans.

 

          Il faudrait aussi évoquer le microbiome  et la métagénomique...

 

Aujourd'hui, grâce à la puissance des calculateurs, aux progrès de l'intelligence artificielle, nous y sommes.

 

Grâce à la bio-informatique, le vivant peut être  appréhendé dans sa totalité et  l'information biologique obtenue associée à des pathologies connues.

 

S'appuyant sur les spectaculaires avancées des technologies de l'information (intelligence artificielle...), les sciences « omiques » regroupent des champs d'étude de la biologie qui s'intéressent aux interactions dans - et entre - des ensembles vivants complexes (espèces, populations, individus, cellules, protéines, ARN, ADN) en tenant compte de l'environnement auquel ces ensembles vivants sont exposés et de l'écosystème dans lequel ils vivent.

 

J'ai déjà évoqué les « omiques » les plus connus comme  la génomique, la protéomique, la transcriptomique et la métabolomique. Pour cette dernière on étudie maintenant l'ensemble complet des flux métaboliques dans la cellule (fluxome). 

La fluxomique permet donc de quantifier les flux de petites molécules à travers les réseaux métaboliques donnant ainsi  accès à l'activité, in vivo, dans des cellules vivantes intactes. Elle se situe au coeur du  fonctionnement du réseau biologique, de l'ingénierie métabolique.

 

La volatolomique vient compléter le tableau !

 

La volatolomique

L'analyse chimique (détection et surveillance) des composés associés aux activités métaboliques d'un organisme (métabolomique) a fait des progrès considérables. 

Une nouvelle approche omique est en train de voir le jour : la volatolomique.

 

La métabolomique volatile (ou volatolomique) se développe en effet à son tour. Elle présente un large éventail d'applications, notamment :

 

- en recherche biomédicale (outils de diagnostic de maladies, soins de santé personnalisés par exemple)

- pour l'analyse toxicologique (exposition aux polluants environnementaux, chimiques toxiques  etc.),

- dans le domaine de la communication moléculaire, de la criminalistique et de la sécurité. 

 

L'accent est particulièrement mis sur les composés organiques volatils (COV) provenant de sécrétions biologiques de divers organismes ( micro - organismes , insectes, plantes, humains, par exemple) : le volatolome.

La discrétion de ces molécules ont conduit les chimistes de l'atmosphère à déployer les moyens d'analyse les plus sophistiqués, comme les techniques les plus récentes de la chromatographie couplée ou de la spectrométrie de masse par transfert de proton (PTR-MS) pour les identifier et les quantifier.

 

Ces mêmes techniques peuvent être employées pour analyser les COV émanant de végétaux (ci-contre)... ou du corps humain, et dès lors avoir un intérêt au niveau de la santé publique.

La composition des COV détectés par le corps humain pourrait être la signature précoce de pathologies graves (comme les marqueurs dans le sang).

Ainsi l’air expiré contient de nombreuses molécules libérées par le poumon et par le sang au niveau des alvéoles pulmonaires.

 

L'analyse de ce volatolome peut contribuer au diagnostic de maladies pulmonaires, comme les cancers bronchiques, l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), mais aussi de pathologies chroniques d’autres organes comme l’estomac, la vessie ou le foie.

 

La volatolomique touche de nombreux domaines, par exemple des chercheurs viennent de décrire une méthode de détection de cancers féminins en analysant les effluves de... tampons hygiéniques !

 

 

Rappel : les chiens font aussi bien que la spectrographie de masse !

Mélo, beagle de deux ans
Mélo, beagle de deux ans

J'ai déjà signalé que des chiens étaient utilisés pour détecter des cancers graves du poumon à un stade précoce.

Des chercheurs de la société BioScentDx (États-Unis) ont entraîné des chiens -- des beagles, comme mon petit Mélo (photo) au « clicker », un conditionnement destiné à les encourager à distinguer des échantillons sanguins normaux d'échantillons de sang issus d'un patient atteint d'un cancer du poumon.

Résultat : les chiens se sont montrés capables d'identifier les échantillons malades dans 96,7 % des cas et le sang sain dans 97,5 % des cas.

 

Des résultats concluants ont été obtenus pour le cancer du sein et encourageants pour le redoutable cancer des ovaires.