Ose penser !

 

" La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers."

 

Il est si aisé d’être mineur !

 

Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux.

 

Que la grande majorité des hommes (y compris le sexe faible tout entier) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers leur majorité, outre que c’est une chose pénible, c’est ce à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui très aimablement (par bonté) ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité. "

Emmanuel Kant

 

Et que sont donc les Lumières :

 

" Qu’est-ce que les Lumières ?

 

La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui.Sapere aude !

 

(Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement.

 

Voilà la devise des Lumières."

Emmanuel Kant

 

 

 

Voltaire d'Alembert, Condorcet, Diderot... à Ferney (et non au café Procope).

                 Eau forte BNF

 

Diderot, 3 siècles, pas une ride !

 

 

Après l'année Rousseau, voici l'année Diderot qui s'annonce. Le maitre d'œuvre de l'Encyclopédie (avec d'Alembert) (1) figure au tout premier rang de mon Panthéon (auquel, très injustement, il n'a pas eu droit).

 

Philosophe, écrivain, épistolier, mais aussi scientifique, critique d'art... cet immense érudit fut aussi visionnaire(2).

Voici un polymathe qui symbolise plus que tous les Lumières, un penseur qui marque de son empreinte l'Europe du XVIIIème siècle et dont nous percevons encore aujourd'hui l'influence.

 

Je reviendrai à plusieurs reprises en 2013 sur ce que j'ai pu retenir de ma lecture de Diderot, en donnant la parole aux savants, aux spécialistes de l'homme et de l'œuvre. Mais j'insisterai surtout sur la curiosité scientifique de Diderot, sur son regard sur la science que je connais le mieux : la chimie. N’était-il pas le vrai premier philosophe des sciences modernes ?

 

J'ai déjà abordé cet aspect de l’œuvre de Diderot dans deux épisodes de mon année de la chimie (3).

 

J'ai également classé Denis Diderot parmi mes Rebelles.

 

Dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient  paru en 1749, il affirmait haut et fort son matérialisme et son athéisme :

 

"Un phénomène est-il, à notre avis, au-dessus de l'homme ? Nous disons aussitôt : c'est l'ouvrage d'un Dieu ; notre vanité ne se contente pas à moins. Ne pourrions-nous pas mettre dans nos discours un peu moins d'orgueil, et un peu plus de philosophie ? Si la nature nous offre un nœud difficile à délier laissons le pour ce qu'il est et n'employons pas à le couper la main d'un être qui devient ensuite pour nous un nouveau nœud plus indissoluble que le premier."

 

Cela le conduisit au Fort de Vincennes.

 

Ses Pensées philosophiques lui avaient valu trois ans plus tôt les foudres de la censure. Un arrêt du Parlement de Paris du 7 juillet 1746 ordonna la saisie et l'autodafé de tous les exemplaires.

 

En fait, le penseur Diderot fut toute sa vie un briseur de dogme, un rebelle face à tous les prêt-à-penser de son époque.

 

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(1) « Sire, vous êtes trop heureux qu’il se soit trouvé sous votre règne des hommes capables de connaître tous les arts et de les transmettre à la postérité. Tout est ici, depuis la manière de faire une épingle jusqu’à celle de fondre et de pointer vos canons, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand... » Un courtisan à Louis XV

 

(2) Comme le rapporte Jacques Attali (Diderot ou le bonheur de penser) il envoie cette adresse à Louis XVI le jour de son avènement : "Si vous n'êtes pas capable de trancher dans l'intérêt du peuple, le peuple se servira du même couteau pour vous trancher en deux."

 

(3) Épisodes XI et XIILa chimie au siècle des Lumières

 

 

Ouverture de la Maison des Lumières, Langres, 5 octobre 2013

A Langres, où il est partout présent (deux maisons natales, collège Diderot, statue Bartholdi…), un Musée de France lui sera entièrement dédié. Ce sera le seul lieu consacré au philosophe en France.

 

Diderot à Voltaire (octobre 1766)

 

" Monsieur et cher maître,

Je sais bien que, quand une bête féroce a trempé sa langue dans le sang humain, elle ne peut plus s’en passer. Je sais bien que cette bête manque d’aliment, et qu’(…)elle va se jeter sur les philosophes. Je sais bien qu’elle a les yeux tournés vers moi, et que je serai peut-être le premier qu’elle dévorera. Je sais bien qu’un honnête homme peut en vingt-quatre heures perdre ici sa fortune, parce qu’ils sont gueux ; son honneur, parce qu’il n’y a point de lois ; sa liberté, parce que les tyrans sont ombrageux ; sa vie, parce qu’ils comptent la vie d’un citoyen pour rien, et qu’ils cherchent à se tirer du mépris par des actes de terreur. Je sais bien qu’ils nous imputent leurs désastres, parce que nous sommes seuls en état de remarquer leurs sottises. Je sais bien qu’un d’entre eux a l’atrocité de dire qu’on n’avancera rien, tant qu’on ne brûlera que des livres.(…) Je sais bien qu’ils en sont venus au point que les gens de bien et les hommes éclairés leur sont et leur doivent être insupportables. Je sais bien que nous sommes enveloppés des fils imperceptibles d’une nasse qu’on appelle police et que nous sommes entourés de délateurs.(…) Je ne dissimule rien, comme vous voyez ; mon âme est pleine d’alarmes ; j’entends au fond de mon cœur une voix qui se joint à la vôtre, et qui me dit : « Fuis, fuis »...