« L'homme, dit-il, peut considérer la nature de deux façons.


D'abord il se sent un enfant de la nature et éprouve à son égard un sentiment d'appartenance et de subordination, il se voit dans la nature et il voit la nature en lui. Ou bien, il se tient face à la nature comme devant un objet étranger, indéfinissable.

 

Un savant qui éprouve à l'égard de la nature un sentiment filial, un sentiment de sympathie, ne considère pas les phénomènes naturels comme étranges et étrangers, mais tout naturellement, il y trouve vie, âme et sens. Un tel homme est fondamentalement un vitaliste. Platon, Aristote, Galien, tous les hommes du Moyen Âge et en grande partie les hommes de la Renaissance étaient, en ce sens, des vitalistes ».

Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, (1985).

 

 

Le lecteur assidu de ce feuilleton aura compris pourquoi j’insiste autant sur ces débats autour du vitalisme et de l’Ecole de Montpellier.

 

Au-delà de la doctrine, qui nous parait bien théorique aujourd’hui (Paul Barthez, qui obtient son doctorat en médecine en 1753, enseigna toute sa vie une médecine coupée de l'observation et de la clinique), de la querelle de médecins, de la querelle d’Ecoles… c’est la science moderne qui va naître avec… la fin du vitalisme.

 

François Jacob, biologiste, prix Nobel de médecine/physiologie, écrit même (dans La Logique du vivant, une histoire de l’hérédité, 1970) que le vitalisme fut un mai nécessaire, qu'il représentait une prise de position indispensable pour que s'érige une biologie indépendante, autonome, une biologie qui se démarque de la chimie et de la physique.

 

Vitalisme, élan vital, force vitale… des termes qui nous renvoient aussi à un débat métaphysique qui passionna, nous l’avons vu, les Encyclopédistes et le premier d’entre-eux Denis Diderot (Le Rêve de D’Alembert).

Paul-Joseph Barthez
Paul-Joseph Barthez

Dans un premier temps, l’école de Montpellier a soutenu les idées stahliennes puis elle s’est écartée de l’animisme. Nous avons vu que Théophile de Bordeu (1722-1776) et Paul-Joseph Barthez (1734-1806) sont à l’origine du mouvement vitaliste.

Barthez est un ami de d’Alembert et Bordeu est très proche de  Diderot. Pour Barthez, il n’existe qu’un principe vital unique, pour Bordeu, c’est un ensemble d’activités et de sensibilités locales, irréductibles à la physique et à la chimie, qui fondent le processus vital.

 

Contrairement à Stahl, les vitalistes affirment que le principe vital est distinct de l’âme ; principe unique et distinct de l’âme et du corps – i l est capable de régir tous les actes de la vie.

 

Barthez est aussi newtonien, il pense que des attractions ou répulsions pourraient expliquer l’affinité et la réactivité des organes entre eux dans l’organisme. Pour lui, la matière est animée par une « infinité de mouvements nécessaires aux fonctions de la vie ».

 

Le vitalisme, qui consacra Montpellier et son Ecole de Médecine, marqua aussi son déclin.

 

L'enquête de prairial an XIII (juin 1805) diligentée par le Ministère de l'Intérieur pour connaître les effectifs des professions de santé, donne l’origine universitaire des médecins diplômés avant 1794. Sur un total de 2398, on obtient la répartition suivante : Montpellier 1101 (45,9%), Toulouse 226 (9,4%), Paris 72 (3,0%) et Strasbourg 38 (1,6%) !

 

Certains tenants de l’Ecole de Paris (de Corvisart au bordelais François Magendie en passant par Broussais et  Laennec) diront même :

 

« L'école de Montpellier s'est tellement attachée à la Métaphysique qu'elle en a souvent oublié la Médecine ».

Charles-Louis Dumas (un des disciples de Barthez avec Bérard, Alquié et  Lordat), Professeur d'Anatomie et de Physiologie à l'Ecole de Médecine de Montpellier répondra :

 

 « Pourquoi séparer la philosophie et la médecine? N'ont-elles pas l'une et l'autre pour objet de rassembler tous les rapports qui lient l'homme à la nature? (...) Le médecin se compose un fonds vaste, inépuisable en recevant le tribut de plusieurs sciences dont il devient l'heureux dépositaire. La destinée d'une multitude prodigieuse de connaissances repose donc entre ses mains... Barthez voit toutes sciences au service de la médecine et la médecine toute puissante au service de l'homme... »

(Discours sur les progrès futurs de la Science de l’Homme, Ecole de Médecine de Montpellier du 20 Germinal An Douze).

 


 Le vitalisme atteindra son apogée avec Bichat qui lui donnera une teinture plus scientifique.

 

Claude Bernard
Claude Bernard

C’est Claude Bernard qui portera le coup de grâce (et sera involontairement à l’origine de la querelle entre Marcellin Berthelot et Louis Pasteur, qui a marqué l’histoire de la chimie et fera l’objet d'un prochain épisode).

 

Pour le physiologiste lyonnais,  " l’organisme n’est qu’une machine vivante construite de telle façon qu’il y a, d’une part, une communication libre du milieu extérieur avec le milieu intérieur organique, et, d’autre part, qu’il y a des fonctions protectrices des éléments organiques pour mettre les matériaux de la vie en réserve et entretenir sans interruption l’humidité, la chaleur et les autres conditions indispensables à l’activité vitale. "

 

La conclusion de Claude Bernard était donc sans appel :

 

« Le vitalisme qui peut avoir autant de nuances que d’individus est donc la négation de la science et l’abandon de toute espèce de recherche pour se livrer aux fantaisies de l’imagination. En effet, si une force vitale agit à son gré sans être soumise à des conditions de la matière que nous pouvons déterminer, à quoi sert de rechercher à connaître par un labeur incessant ces conditions en analysant péniblement les phénomènes ? »


Dans ce choc des titans, les chimistes coincés entre les physiciens et les médecins (ou abrités sous leur aile protectrice), affublés d’une réputation douteuse, se faisaient tout petit. Ils attendaient leur heure !

 

Elle vint avec la fin du vitalisme et cette fameuse querelle entre Marcellin Berthelot et Louis Pasteur qui permit au premier d’enterrer la force vitale et de faire émerger la chimie de synthèse. Il était temps !

 


A LIRE, A VOIR

 

Vie, vivant, vital : vitalisme. Histoire et philosophie du vitalisme. Colloque organisé dans le cadre du PRES UMSF (Université Montpellier Sud de France), par l’Université Montpellier I, Montpellier II et Montpellier III-Paul Valéry avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme de Montpellier (MSHM), juin 2009.

 

La problématique vitaliste, l'histoire du vitalisme, le vitalisme au XXème siècle, l'avenir du vitalisme en une quinzaine de conférences par des spécialistes du monde entier.

 Dominique RAYNAUD, La controverse entre organicisme et vitalisme.

 

 

En guise de postface : esprit et vie

 

«  Quels sont maintenant les principaux aliments de l'âme? Le prodige, l'amour et l'exemple. Le prodige, l'âme le trouve par exemple à la vue d'un paysage, dans la poésie, dans la beauté. Qu'on lui présente donc le paysage, la poésie, la beauté et qu'on regarde si elle s'épanouit là. L'amour au sens le plus large … ne réchauffe avec une vraie efficacité que sous l'action de l'être aimant. L'image éternelle de ce mode d'éducation est l'image de la mère aimante et de l'enfant bien-aimé. Qu'on entoure donc l'âme de tous les rayons de l'amour maternel et qu'on regarde si elle s'épanouit là. L'exemple ce sont les dieux, les poètes et les héros. Qu'on donne à l'âme le spectacle des héros et qu'on regarde comment elle s'épanouit là. Et si elle ne s'épanouit au contact d'aucune de ces trois choses, c'est qu'elle ne porte en elle aucune puissance d'épanouissement, et il n'existe pas d'éducateur qui puisse la susciter par magie. Car c'est là le secret de l'âme de ne s'enrichir qu'en donnant. »

Ludwig Klages, Mensch und Erde, Diederichs Verlag, Iena, (1929).

 

Ludwig Klages publie aussi le premier manifeste écologique, Mensch und Erde (L'homme et la terre) en 1913.

 

Voir l'ouvrage de Frédéric BERARD sur la Doctrine médicale de l'Ecole de Montpellier