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Cinquante nuances de noir... la foi du charbonnier

"La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre".

Albert Camus

Islam des ténèbres... 

Quand je vois cette image terrible de femmes aux ailes de corbeau qui se répandent dans les villes du Maghreb et dans nos cités, j'ai peine à croire qu'il y a à peine plus de 40 ans je déambulais main dans la main avec une amie tunisienne, en jupe courte, sous le quadruple alignement des ficus de l'avenue Bourguiba à Tunis...

 

Quand j'entends les prêches surréalistes des bouchers jihadistes, je me souviens de la foi profonde et paisible des parents de cette génération là, qui irradiait les foyers de toutes les familles où j'étais reçu, des gourbis de paysans miséreux des monts de Kroumirie, aux villas bourgeoises de Tunis...

 

Quand je découvre sur internet, toute cette haine qui accable l'occident, le progrès, les savants, les intellectuels... ces discours qui vomissent les droits de l'homme et réduisent la femme au niveau de reproductrice...

 

quand je me souviens des débats passionnés que j'ai pu nouer alors avec mes jeunes élèves,  et plus tard avec mes étudiant(e)s, avec les migrants...

 

c'est un sentiment d'accablement qui m'assaille et une profonde inquiétude quant à l'avenir de l'humanité.

 

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Sans aucun doute, l’occident a une lourde responsabilité dans la formidable poussée du fondamentalisme islamique.

 

En choisissant de soutenir sans limites l’expansionnisme israélien, en cautionnant les pires violences de son armée, en refusant d’imposer la paix à l’état hébreu quand ils le pouvaient encore, les américains et leurs alliés ont fait le lit des extrémistes, des kamikazes et des mouvements radicaux qui se sont levés dans tout le monde musulman.

 

Martyriser l’Irak, démanteler l'état libyen, soutenir Chadli Bendjedid, Hassan II, Ben Ali, les dictatures pétrolières du Moyen-Orient... c’était multiplier tous les jours le nombre de recrues des mouvements terroristes et leur donner la légitimité d’une résistance à des occupants.

 

C’était mettre fin pour une génération – et peut être plus - aux velléités de modernisation de l’islam, à son évolution vers l’acceptation d’une société laïque.

 

Le retour foudroyant, depuis le début des années 90, aux pratiques de l’islam le plus rigoureux, dont la manifestation la plus spectaculaire est le port généralisé du voile, me désole pour tant d’amis d’outre-Méditerranée, obligés de courber l’échine sous le vent de discours parfois moyenâgeux ou de menaces plus ou moins explicites.

 

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Les musulmans doivent-ils pour autant s'exonérer de toute responsabilité face à l'émergence du fanatisme et de la barbarie islamiste et continuer à manier la langue de bois ?

 

Se contenter de répéter que ces individus ne font pas partie de la oumma et qu'ils manipulent le Coran, me paraît extrêmement dangereux pour l'avenir de l'islam, des musulmans et du monde arabe en général qui ne cesse de s'affaiblir.

 

Certes ce n'est pas à des mécréants dans mon genre ou à des "penseurs" occidentaux plus ou moins bien intentionnés, de sommer les tenants d'un islam des lumières d'agir. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs... et le prix à payer ici est celui du sang. Tous ceux qui peu ou prou veulent faire valoir que le wahhabisme, jihadiste ou non, n'est qu'une interprétation caricaturale de la parole divine ont une fatwa sur la tête.

 

Mais ces hommes (femmes) existent ! Comment les aider ? Sans doute en évoquant justement cet islam des lumières... qui n'est pas qu'un fantasme.

 

... Islam des Lumières

 

Le combat contre cet islam des ténèbres a commencé très tôt, moins d'un siècle après la mort du Prophète (632) et s'est développé avec la falsafa.

VOIR "Philosophie et falsafa"

 

Al Kindi (801-873) fut le premier "philosophe" de la falsafa. Je l'ai cité plusieurs fois sur ce site, en insistant sur son rejet de l’ ethnocentrisme :

 

« Un des devoirs primordiaux est de ne pas mésestimer quiconque dont nous avons pu tirer profit, quelque minime et insignifiant qu’il soit. Que dire alors de ceux qui furent pour nous les facteurs essentiels d’un réel enrichissement, en des matières de première importance et extrêmement précieuses. Ces auteurs, en effet, bien qu’ils soient restés dans l’ignorance d’une partie de la vérité, furent pour nous la voie et l’instrument pour parvenir à de multiples connaissances, dont ils n’ont pu eux-mêmes rejoindre l’entière vérité…"

 

A l'opposé des discours fondamentalistes qui ont aujourd'hui confisqué la parole islamique.

 

La falsafa se situait dans la continuité de la philosophie grecque.

 

"Al-Kindî conçoit donc le développement de la pensée humaine comme un progrès continu, une croissance sans rupture ni détour : chaque auteur reprend à son compte les résultats acquis par ses prédécesseurs, et s’en sert comme point de départ en vue d’une nouvelle étape dans la marche humaine vers la vérité. Et cette vérité, c’est aussi bien celle des Grecs que celle des Musulmans : le contenu de la révélation coranique ne s’oppose en rien aux conclusions de la philosophie. Le Coran et Aristote visent la même et unique vérité et traitent des mêmes questions.

 

Le penseur iranien, Rhazès (Abû Bakr al-Râzî, vers 863 - 925 ou 935), éminent représentant de la médecine clinique, est beaucoup plus radical, il conteste toute forme de prophétisme au nom de l’égalité entre les hommes.

 

"Al-Râzî est ainsi conduit à pousser à son terme l’idée de progression qui se faisait jour dans le manifeste d’al-Kindî. Il n’y a pas d’un côté la vérité et de l’autre l’erreur, comme le pensent les adeptes d’une conception absolutiste de la révélation religieuse ; il y a en revanche une quête incessante vers une découverte toujours plus grande, mais restant néanmoins approchée, de la vérité.

 

Toute vérité que nous atteignons n’est que partielle et appelle ajustements et prolongements. De même, en philosophie, les divergences entre penseurs ne sont que la marque de leur ardeur à la recherche. La philosophie ne saurait donc être affaire d’école et encore moins de secte. C’est ce progrès qui est libérateur et qui assure de l’immortalité."

 

Rhazès, tenant du temps absolu, se refuse à envisager une acmé de l’histoire, et à plus forte raison à la voir dans un moment du passé, que ce soit la révélation du Coran pour les Musulmans ou l’Incarnation du Fils de Dieu pour les Chrétiens.

 

Il se situe aux antipodes du wahhabisme et de tout les intégrismes qui affirment que tout a été dit à la mort du Prophète.

 

Certes il s'agit d'une parole singulière en terre d'islam, mais que cette voix là soit parvenue jusqu'à nous montre bien qu'elle fut écoutée sinon entendue.

 

Enfin last but not least, le très grand Averroès (Ibn Rosch, 1126-1198), commentateur et exégète d'Aristote, sous l'égide duquel je présente ce site (Averroès : le penseur d'hier pour l'islam du présent ; l'homme du combat contre l'intolérance ), pour qui l'immortalité est un attribut de l'espèce et non de l'individu, ce qui le conduit à séparer radicalement raison et foi.

 

J'aurais pu aussi évoquer le travail magistral d'Avicenne (Ibn Sina, 980- 1037), brillant médecin (voir Le Canon, Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb ), et éminent philosophe (Avicenne composa une vaste encyclopédie des sciences philosophiques : Ach-Chafa ).

 

Mais encore  de très grands savants comme Ibn al-Haytam (965-1039), père de l'optique moderne que j'évoque par ailleurs, le célèbre mathématicien et astronome perse Al-Khwarizmi (780-850), dont le nom est à l'origine du terme algorithme ou aussi al-Fârâbî (872-950) et Al-Bīrūnī (973-1048), un des plus grands érudits de l'Islam médiéval... et bien d'autres.

 

 

Ibn Khaldoum
Ibn Khaldoum

Ces penseurs, médecins et savants,  accompagnèrent ce que certains appellent "l'âge d'or islamique ", qui prit fin vers le milieu du XIIIème siècle.

Cet âge d'or peut se comparer à notre Renaissance qui aurait donc débutée à... Bagdad.

 

Il n'est pas possible d'expliquer dans le cadre de ce blog (et cela dépasse de beaucoup mes connaissances!) l'origine d'un déclin qui conduit le monde arabo-musulman dans le triste état où nous le trouvons aujourd'hui.

 

Néanmoins, dès le milieu du XIVème siècle, le célèbre historien, politicien, philosophe, et aussi premier "sociologue", Ibn-Khaldoun (né à Tunis en 1332, mort au Caire en 1406) évoquait  les difficultés économiques mais surtout la violence politique chronique qui affaiblissaient le monde arabo-musulman. 

 

 Aussi, appellait-il  le prince à régner dans la juste mesure, "à éviter l’excès, à ne pas régner en brandissant le sabre aiguisé. En somme, Ibn Khaldoun conseillait au prince d’éviter la tyrannie car c’est elle qui engendre des maux irréparables aboutissant à la destruction des Etats."

 

 VOIR AUSSI ICI

 

Il y eut ensuite la domination  turque puis la colonisation.

 

Pour nombre de spécialistes contemporains, cependant, c'est l’ancrage du dogmatisme islamique, lui-même instrumentalisé par des pouvoirs dictatoriaux et souvent tyranniques, dépourvus de toute légitimité politique qui  est à l'origine de la misère culturelle et sociale en Terres d’Islam. Ainsi s'exprime par exemple Rachid Aous ( " Aux origines du déclin de la civilisation arabo-musulmane ").

 

Rachid Aous souhaite que l'on retrouve cet islam des Lumières qui opérait une nette distinction entre les " sciences religieuses " basées sur les textes révélés ( le Coran et la sunna) et les "sciences humaines  que l'homme acquiert par l'exercice de la réflexion et sont fondés sur le discours de la rationalité ".

 

Quelques érudits, tel le philosophe, poète et anthropologue tunisien Youssef Seddik, combattent pied à pied ce vent mauvais qui dévaste le monde arabo-musulman. Ils sont encore bien peu nombreux.


VOIR aussi ICI

 

Youssef Seddik, pour un islam des Lumières