Février 2020
Face à l'épidémie actuelle liée à la propagation du Coronavirus 2019-nCoV, il faut savoir raison gardée !
Certes l'épidémie s'étend, notamment en Europe, mais les cas graves restent limités (moins de 15%) et épargnent la jeunesse et les adultes bien portant. La létalité reste inférieure à 2% (et certainement beaucoup moins, car le nombre de cas signalés est certainement très supérieur à ce qui est détecté).
https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6.
Certes, il ne faut pas préjuger de l'avenir ; l'épidémie pourrait durer des mois, voire des années... mais la peur - la panique chez certains - pourrait avoir des conséquences économiques et sociétales, bien plus graves que la maladie.
Nous sommes en effet très loin des grandes pandémies, de peste par exemple, qui mettaient en péril l'existence même de villes entières.
La Peste
" Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La ville les salua par une longue et sourde exclamation. Cottard,* Tarrou,* ceux et celle que Rieux avait aimés et perdus, tous, morts ou coupables, étaient oubliés. Le vieux * avait raison, les hommes étaient toujours les mêmes. Mais c'était leur force et leur innocence et c'est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu'il les rejoignait. Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée, qui se répercutaient longuement jusqu'au pied de la terrasse, à mesure que les gerbes multicolores s'élevaient plus nombreuses dans le ciel, le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s'achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.
Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu'il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d'admettre les fléaux, s'efforcent cependant d'être des médecins.
Ecoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse."
Camus - Fin du roman
«Les gardiens et les ministres de la loi étaient tous morts, malades, ou si démunis d’auxiliaires que toute activité leur était interdite. N’importe qui avait donc licence d’agir au gré de son caprice».
Bocacce - Decameron
La grande peste provoqua une hécatombe en Eurasie au XIVème siècle. On cite parfois le chiffre de 200 millions de morts. En Europe on dénombra au moins 30 millions de morts.
Au Moyen Age, la peste bubonique sévissait de façon endémique en Asie centrale.
En 1346, les Mongols de la Horde d'or assiégèrent Caffa (Théodosie), comptoir et port génois des bords de la mer Noire, en Crimée. L’épidémie, qui sévissait dans leurs rangs, toucha rapidement les assiégés.
Bientôt, le siège fut levé, faute de combattants.
Les bateaux génois, quittèrent Caffa, avec leurs pestiférés, qui, de port en port, disséminèrent le bacille Yersinia pestis qui se répandit comme une traînée de poudre.
Constantinople fut la première ville touchée en 1347, puis la maladie atteignit Gênes et Marseille en novembre de la même année.
Elle gagna rapidement Avignon, en janvier 1348, alors cité papale et carrefour du monde chrétien : les fidèles, présents en grand nombre, contribuèrent à sa diffusion. Début février, la peste atteignit Montpellier, puis Béziers. Le 16 février 1348, elle est à Narbonne, début mars à Carcassonne, fin mars à Perpignan...
En un an, la peste noire se répandit sur tout le pourtour méditerranéen. Elle progressa ensuite vers le nord.
Le bilan fut catastrophique : en France, en 1348, le taux de mortalité est de plus de 40% ; en Europe, selon les pays et les sources, il se situe entre 30 et 60%.
Article de fond :
La peste noire a touché Londres vers l'automne 1348, causant la mort de près de 40% de la population.
La peste reviendra 18 fois entre 1369 et 1485 puis ensuite, selon un rythme décennal, au XVI siècle avec des pics vers 1610 et 1630.
On pense que la Grande Peste est arrivée à Londres fin 1664, probablement transmise par des expéditions de coton en provenance d'Amsterdam où la maladie s'était établie en 1663-1664, causant 50 000 décès.
En avril 1665, on comptait 400 décès par semaine. Pendant l'été, la maladie flambait. Le roi et son Conseil privé prennent les premières mesures pour limiter la contagion, mais si la maladie était assez bien connue à l'époque, les nombreux médecins et guérisseurs en place étaient totalement démunis.
En juillet 1665 les plus riches désertent Londres, les pauvres "meurent comme des mouches".
Il y avait tellement de morts à enterrer que "les cimetières étaient surpeuplés". Les croque-morts erraient dans la ville avec de grandes charrettes en criant «Sortez vos morts».
Lire l'ouvrage du grand scientifique Robert Boyle : The Plague of London from the Hand of God (1665).
Dès lors la panique s'installe à Londres. Les corps commencent à s'entasser à l'extérieur des maisons, les rues sont jonchés de cadavres.
Ordre est donné d'abattre chiens et chats. De grands feux sont allumés dans les rues, la fumée étant censée éliminer la maladie.
Le célèbre diariste Samuel Pepys écrit :
"Seigneur ! Comme les rues sont vides et mélancoliques, tant de pauvres malades dans les rues pleines de plaies… à Westminster, il n'y a pas de médecin et il ne reste qu'un apothicaire, tous sont morts. »
En septembre 1665, on compte officiellement 7 000 morts par semaine. En réalité certainement beaucoup plus.
Avec l'arrivée d'un temps plus froid à l'automne et à l'hiver 1665, la peste a lentement commencé à refluer.
Cependant, la vie à Londres n'a repris son cours normal qu'en 1666. En septembre de la même année, la ville a connu une autre tragédie : le grand incendie de Londres. On pense qu'il a aidé à débarrasser Londres de la peste une fois pour toutes.
Selon le London Bill of Mortality, 68 596 personnes étaient mortes de la peste en 1665. Encore une fois, on pense également que ce nombre était largement sous-estimé.
À la suite de la grande peste et du grand incendie, la ville de Londres a été en grande partie reconstruite.
La ville a été assainie. Les rues ont été élargies, des chaussées et des égouts ont été installés et les bâtiments ont été reconstruits à l'aide de matériaux plus sûrs.
En 1722, Daniel Defoe publie le Journal de l’Année de la Peste (A Journal of The Plague Year).
Lorsqu’il publie son Journal le 17 mars 1722, Defoe a à l’esprit la peste qui a ravagé Marseille et sa région, deux ans plus tôt.
Auteur de best-sellers comme Robinson Crusoé (1719) et (Heurs et malheurs de la fameuse) Moll Flanders (1722), mais aussi journaliste toujours à l'affût d'une grande affaire, Defoe voit là l'occasion d'un livre qui rappelle le drame de Londres, 55 ans plus tôt.
Réunissant avec une rigueur toute scientifique témoignages et documents, Defoe a laissé de la peste une description digne des grands cliniciens du XIXe siècle.
Il s'agit du récit, relaté par un personnage-narrateur-observateur-témoin-chroniqueur (H. F.) qui vit à Londres durant la grande peste. Il arpente les rues de la ville et reconstruit, par et dans son écriture, l’expérience de la maladie, à laquelle il échappe de façon quasi miraculeuse.
La contagion, dans son sens médical, est au cœur du Journal. Elle est à l’origine de la plupart des questions que H. F. pose de façon lancinante : a-t-on plus de chance d’éviter la contagion en restant sur place ou en fuyant ? Est-il efficace, pour éviter que la maladie ne se répande, de fermer les maisons et d’empêcher leurs habitants, même sains, de sortir, dès qu’un cas de peste s’est déclaré dans un foyer ? Que deviennent les rapports entre les gens et quel aspect prend une ville en cas de contagion généralisée ?...
Alors que le discours médical est à l'époque général et théorique, Defoe offre des exemples frappants, plus ou moins détaillés, du processus, où le général est envisagé non comme un tout indifférencié, mais comme une accumulation ou une concentration d’individualités, dont la somme renforce l’effroi du lecteur.
Il raconte notamment l'histoire de cette femme embrassée par un pestiféré :
" il la maîtrisa et l’embrassa ; puis, ce qui fut bien pire, quand il l’eut fait, il lui dit qu’il avait la peste et qu’il n’y avait pas de raison pour qu’elle ne l’eût pas aussi bien que lui. Elle était déjà assez terrifiée avant cela… mais quand elle l’entendit déclarer qu’il avait la peste, elle poussa un cri perçant et tomba en pâmoison ou en syncope dont […] elle mourut au bout de quelques jours".
"La certitude de l’infection est aussi mortelle que l’infection elle-même "
Et puis progressivement la mort devient si familière que l'on s'y accoutume :
"« En fait, on ne voyait pas par les rues les gens en deuil, car personne ne se mettait en noir ou ne portait officiellement de vêtements funèbres, fût-ce pour les parents les plus proches ; mais on y percevait partout la véritable voix du deuil. Les passants avaient si souvent à entendre les cris des femmes et des enfants aux fenêtres et aux portes des maisons où les êtres les plus chers étaient peut-être mourants ou venaient de mourir, que c’en était assez pour percer le cœur du plus ferme. Dans presque chaque demeure, ce n’étaient que pleurs et lamentations, surtout au début de la calamité ; car vers la fin, les cœurs étaient endurcis, et la mort se trouvait si constamment exposée aux yeux que les gens ne s’émouvaient plus autant de celle des proches, chacun s’attendant à être lui-même appelé dans l’heure suivante ».
C’est un document irremplaçable par sa rigueur sociologique, médicale, historique.
Marseille a été touchée plusieurs fois par la peste, mais l’épidémie de 1720 est la plus sanglante : 40 000 Marseillais meurent de la maladie, soit la moitié de la population de l’époque.
En mai 1720, le Grand Saint-Antoine revient dans la Cité Phocéenne, qu’il a quitté neuf mois plus tôt, après plusieurs escales au Proche-Orient. Sa cargaison, qui appartient à des notables, se compose d’étoffes de soie et de balles de coton, destinées à être vendue à la foire de Beaucaire, au mois de juillet.
Lors de toutes ses escales, le Grand Saint-Antoine a obtenu des patentes nettes. Pourtant, au cours de son voyage, le navire enregistre neuf décès à bord, dus à une fièvre maligne pestilentielle. Le bateau s’est vu refusé l’entrée au port de Livourne (Italie), juste avant son arrivée à Marseille, à cause de cette fièvre.
Cependant, et malgré les informations données par le capitaine, les marchandises sont débarquées aux infirmeries du Lazaret d’Arenc, après la probable intervention des propriétaires de la cargaison auprès des échevins.
Il faudra attendre la fin du mois de juin 1720, soit un mois après l’arrivée du Grand Saint-Antoine, pour que le bureau de santé ne prenne de réelles mesures sanitaires. Le navire est brûlé sur l'île de Jarre.
Hélas, les tissus issus des cargaisons du bateau ont été sortis en fraude des infirmeries.
Dès le mois de juin, de nombreux cas de peste sont identifiés et l'épidémie flambe très vite.
Fin juillet la ville est mise en quarantaine, début août on note plus de 100 décès par jour.
L'épidémie franchit cependant les limites de la ville. Les communes alentours, Allauch, Aubagne, Cassis notamment, sont atteintes.
La peste va même plus loin : Aix-en-Provence, Arles, Toulon, Alès, Avignon, le Gévaudan… sont touchés.
Les médecins de Montpellier et le premier médecin du régent, Pierre Chirac, confirment la nature de l'épidémie.
Si l’épidémie recule à partir d’octobre 1720, il faudra toutefois attendre la fin de l’année 1722 pour que s’éteignent les derniers foyers de peste en Provence. Au total, sur une population de 400 000 personnes, entre 90 000 et 120 000 victimes sont à déplorées. A Marseille, on compte entre 30 000 à 40 000 décès sur les 80 000 à 90 000 habitants que comptait la Cité Phocéenne avant la maladie.
Sur le plan économique, le port de Marseille sera durement touché.
Les scientifiques, qui disposent aujourd'hui des moyens de remonter le temps, se penchent depuis quelques années sur ces grandes épidémies de peste.
Une équipe de l'Institut Max-Planck (MPI), en Allemagne est parvenue à reconstituer le génome du bacille Yersinia pestis, à l'origine de l'épidémie de peste qui a ravagé Marseille entre 1720 et 1722.
Les séquences d'ADN de ces échantillons bactériens ont ensuite été comparées aux séquences d'ADN des Y. pestis modernes et à d'autres échantillons historiques de la bactérie. Les résultats ont montré que les bactéries de l'épidémie de Marseille ont probablement évolué à partir de la souche qui a provoqué la peste noire au 14ème siècle.
Ces travaux prouvent que le pathogène ne venait pas d'Asie, comme on le croyait jusqu'alors, mais descendait directement du responsable de la première pandémie ayant ravagé l'Europe au 14e siècle, la "peste noire".
Autrement dit, "le bacille de cette peste noire médiévale a persisté localement pendant plusieurs siècles avant de resurgir brusquement !"
Le Grand-Saint-Antoine, arrivé à Marseille le 25 mai 1720 en provenance du Levant serait-il donc innocent ?
Il reste cependant à comprendre les mécanismes qui ont conduit à la brusque disparition de la peste en Europe et à sa résurgence.
Le souvenir de ces événements est resté longtemps ancré dans la mémoire collective.
Ainsi chaque année, sans interruption depuis 1720, les habitants de Cucuron, petit village du Luberon (Vaucluse) perpétuent une tradition mi-païenne, mi-chrétienne : celle de l’Arbre de mai, en remerciement à leur patronne Sainte Tulle, qui, d’après la légende, stoppa l'épidémie qui avait déjà emporté le tiers des villageois.
Cette tradition, dans laquelle bon nombre de familles cucuronnaises sont investies, consiste à porter à dos d’hommes un peuplier décoré, sur lequel « l’Enseigne », monte à califourchon en brandissant le drapeau national … Après un parcours( toujours difficile) dans les petites rues du village, l’arbre, plus haut que le clocher de l’église (24 m), sera planté sur le parvis de l’église ND de Beaulieu. Il y restera jusqu’au 15 août.
Fin 1918, la grande guerre se termine et l'épidémie de la grande grippe dite espagnole, appelée ainsi parce qu'elle fut annoncée dans la presse espagnole - dont le pays était exempt (la presse des belligérants était censurée), prend son envol. Il sera foudroyant.
C'était il y a exactement 100 ans.
On estime que cette pandémie affecta un tiers de la population mondiale (qui était de 1,83 milliard d'habitants à l'époque) et que plus de 50 millions de personnes en périrent (dont 170 000 en France).
On sait maintenant que le virus responsable de la grippe espagnole est né de la combinaison d'une souche humaine, provenant de la grippe saisonnière H1N8, en circulation entre 1900 et 1917, avec des gènes aviaires de type N1. Ainsi naquit, en 1917 ou 1918, une souche H1N1, ancêtre de la variante qui sema la panique en 2009.
Originaire probablement de Chine, la mutation du virus se serait produite au Kansas. Le virus serait passé ensuite du canard à l'humain - directement ou via le porc -. Le virus a rapidement touché l'ensemble des États-Unis, où il aurait muté, pour donner une nouvelle souche ultra virulente (qui ne tardera pas à nous tomber dessus disent certains virologues), trente fois plus mortelle que les grippes communes. Elle devint une pandémie, lorsqu'elle passa des États-Unis à l'Europe, puis dans le monde entier, par les échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies.
VOIR :
The 1918–19 influenza pandemic revisited