Médicament : de l'aspirine aux protéines

Deux mots d'histoire

Les balbutiements

La chronologie ci-contre montre que ce n'est que vers la fin du XIXème siècle que, grâce aux progrès de la chimie de synthèse et des connaissances en physiologie, les premiers médicaments fabriqués par l'homme sont utilisés.

 

Si la morphine est découverte en 1804 et prescrite dès 1818, il faut en effet attendre la découverte de l'aspirine par  le Français Charles Frédéric Gerhardt et surtout le brevet déposé par le chimiste allemand de chez BayerFelix Hoffmann, en 1899, pour qu'un produit de la synthèse chimique  soit utilisé en médecine

Le succès de l'acide acétylsalicylique ne s'est jamais démenti, c'est toujours, avec plus de 40 000 tonnes, l'un des princeps les plus vendus dans le monde.

 Il faut aussi noter que le XIXe siècle voit également l’avènement de la vaccination. Les travaux de Pasteur, père du premier vaccin antibactérien contre l’anthrax et du vaccin contre la rage.

Et surtout rappeler que la vaccination a fait reculer une vingtaine de maladies très graves permettant notamment  d’éradiquer la variole.

 

La révolution chimique

Mode d'action des différentes familles d'antibiotiques
Mode d'action des différentes familles d'antibiotiques

On peut considérer que l'ère moderne du médicament commence en 1937 avec la découverte de l’action antibactérienne des sulfamides.

 En 1947, Fleming découvre la pénicilline, une avancée majeure dans le domaine thérapeutique, qui permettra de lutter avec succès contre les pathologies infectieuses et de vaincre la tuberculose.

 

Aujourd'hui l'arsenal des antibiotiques s'est étoffé. Plusieurs familles sont utilisées selon leur mode d'action sur les bactéries.

Malheureusement les phénomènes de résistances se développent pour toutes les classes.

 

Dès lors les exploits de la synthèse chimique, associés aux progrès de la médecine et la physiologie, vont permettre de mettre sur le marché des spécialités dans pratiquement tous les domaines. Citons pour les années 1950 :

- 1950 : découverte des neuroleptiques,

- 1956 : première pilule anticonceptionnelle à base de progestérone,

- 1957 : premiers antidépresseurs imipraminiques...

 

Aujourd'hui les chimiothérapies anticancéreuses ont beaucoup progressé et permettent de limiter ce fléau ; le SIDA, dont l'issue était fatale a brève échéance, est devenu une maladie chronique avec laquelle on peut vivre grâce aux trithérapies. Il ne s'est écoulé qu'une quinzaine d'années entre l'identification du virus et les premières thérapies efficaces.

 

Cependant ces petites molécules de la synthèse chimique semble avoir atteint quelques limites : ciblage difficile des tumeurs cancéreuses, résistance des bactéries aux antibiotiques... D'un autre côté La découverte du génome humain ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques.

 

Du venin au médicament

Diabète et obésité

Les monstres de Gila, des animaux terrestres paresseux à la queue épaisse, sont originaires du sud de l'Arizona et du nord du Mexique. Ils ont un nez émoussé et une peau noire bosselée avec des gribouillis bruns, roses ou orange.

Ils passent 95 % de leur vie sous terre. Comme leurs cousins du sud, les lézards perlés mexicains, ils font partie des rares espèces de lézards à produire du venin, qu'ils excrètent par des glandes buccales dans des rainures de leurs dents dentelées. 

 

Chez les humains, cela provoque une douleur intense et peut déclencher une cascade d'autres symptômes qui, chez les humains, incluent des vomissements, des étourdissements, une accélération du rythme cardiaque, une hypotension artérielle et, dans de rares cas, la mort.

 

John Eng, alors endocrinologue du Centre des sciences de la santé de l'Université d'État de New York à Brooklyn, a été particulièrement intrigué par son métabolisme glaciaire - ce lézard peut survivre avec quelques repas par an.

Avec Jean-Pierre Raufman, à l'époque gastroentérologue du même institut, ils ont analysé finement la composition de ce venin.

Ils ont notamment isolés deux molécules qu'ils ont nommés exendine-3 et -4.

 

Les exendines

L'exendine-4 est un peptide de 39 acides aminés isolé du venin du lézard monstre de GilaHeloderma suspectumIl
L'exendine-4 est un peptide de 39 acides aminés isolé du venin du lézard monstre de GilaHeloderma suspectumIl

 L’exendine-4, ressemble à une hormone humaine appelée GLP-1 (Glucagon Like Peptide 1), qui fonctionne comme un gestionnaire naturel de l’insuline chez les personnes non diabétiques.

 

Lorsque nous mangeons, l’intestin grêle libère du GLP-1, ce qui incite le pancréas à produire plus d’insuline uniquement lorsque le taux de sucre dans le sang devient trop élevé.

 

La molécule ralentit également la digestion et nous donne une sensation de satiété.

 

Les scientifiques pensaient que les injections de GLP-1 seraient un traitement du diabète beaucoup plus facile et plus sûr que l’insuline... sauf que l’hormone ne reste que quelques minutes dans la circulation sanguine avant de se décomposer.

 

Mais l’analogue issu du monstre de Gila, comme Eng et Raufman ont été surpris de le constater, reste stable pendant des heures !

 

Eng a breveté la molécule à ses frais en 1995. Il a finalement accordé une licence d’exploitation du brevet à une start-up appelée Amylin Pharmaceuticals pour moins d’un million de dollars.

 

En 2002, Eli Lilly and Company a accepté de payer jusqu’à 325 millions de dollars à Amylin pour son médicament exénatide. Sous le nom de marque Byetta, l’exénatide a été approuvé par la Food and Drug Administration (alerte de sécurité en 2023) pour le traitement du diabète de type 2 en 2005.

Du diabète à l'obésité

Les patients qui prenaient du Byetta et d’autres médicaments inspirés de l’exendine et du GLP-1 ont également connu une perte de poids substantielle, comme l’ont révélé des essais, mais les sociétés pharmaceutiques ont mis du temps à comprendre l’utilité de cet effet secondaire.

 

Une fois qu’elles l’ont compris - et deviné qu'elles tenaient là une poule aux oeufs d'or ! -elles ont amélioré leurs formules, et proposé des spécialités comme Ozempic (alertes multiples pour les contrefaçons : jamais d'achat sur internet) et Wegovy, puis Mounjaro et Zepbound (le principe actif de ces derniers est le tirzepatide), qui sont devenus des médicaments à succès pour traiter le diabète et stimuler la perte de poids.

 

Attention : plusieurs alertes de sécurité ont été émises par la FDA sur ces médicaments dont la consommation doit se faire sous strict contrôle d'un endocrinologue.

 

De plus, nombre d’entre eux paraissent avoir des effets bénéfiques supplémentaires que les chercheurs commencent seulement à comprendre.

Certains semblent protéger contre les maladies rénales et cardiaques et peuvent réduire l’inflammation du cerveau observé lors du développement des maladie de Parkinson et d’Alzheimer.

 

On pourrait dire que le monstre de Gila – ce timide reptile souterrain – a fourni un modèle de médicaments qui pourrait figurer parmi les avancées les plus importantes de notre époque en matière de santé.

 

LIRE : 

L'essor d'Ozempic : comment des découvertes surprenantes du venin de lézard ont conduit à une nouvelle classe de médicaments pour perdre du poids

 

 

La révolution biologique/L'ère post-génomique

 Après la révolution chimique, les années 1970 ont vu s'amorcer la révolution biologique.

Les scientifiques connaissaient mieux le fonctionnement du corps humain et les différentes voies physiopathologiques, au niveau systémique, de la cellule ou  du gène. Ils purent dès lors imaginer et concevoir des outils thérapeutiques plus ciblés, qui miment le vivant.

 

 

Ainsi sont nés les médicaments biologiques (Biologics), très grosses molécules complexes, ou mélanges de molécules, qui signent l'entrée en lice de cette nouvelle approche de la médecine.

 

Les travaux sur les génomes, qui s'accélèrent à partir des années 1990, aboutissent au séquençage complet du génome humain en 2003.

Environ 25000 gènes ont été identifiés. Chacun de ces gènes est capable de produire des centaines de protéines. Ce sont ces protéines qui font l'objet aujourd'hui de toute l'attention des chercheurs.

 

Petites molécules versus macromolécules biologiques

Un dalton est défini comme égal au douzième de la masse d'un atome de carbone 12.
Un dalton est défini comme égal au douzième de la masse d'un atome de carbone 12.

Les petites molécules issues de la synthèse chimique  représentent plus de 80% des médicaments actuellement sur le marché (sources divergentes).
Notons cependant qu'aujourd'hui 50% des nouveaux médicaments sont issus des biotechnologies.

 

Formulées sous formes de comprimés ou gélules, facilement ingérables, elles se dissolvent lors du tractus gastro-intestinal. La substance active est ensuite absorbée dans la circulation sanguine via la paroi intestinale. A partir de là elles peuvent atteindre presque n'importe quelle destination ; leur petite taille et leur structure leur permettent de pénétrer facilement dans les membranes cellulaires.

 

La synthèse chimique, souvent stéréosélective, a atteint de haut niveau de sophistication. Ces dernières années l'avènement de nouvelles méthodes de synthèse automatisée a permis de tester des séries entières de mélanges réactionnels en parallèle.

 

(voir Chimie combinatoire, criblage haut débit ).

 

Contrairement aux petites molécules,  il est difficile, voire impossible, de caractériser un produit biologique complexe à partir des méthodes classiques de laboratoire, et certains des composants d'un produit biologique fini peuvent être inconnus.

 

Par conséquent, pour les produits biologiques, «le produit est le processus»

 

Les produits biopharmaceutiques sont administrés par injection ou perfusion - parce que s'ils étaient pris par voie orale, ils seraient dégradés dans l'estomac et les intestins.

 

Ils sont produits dans des procédés biotechnologiques via des cellules génétiquement modifiées de micro-organismes tels que des bactéries ou des levures ou dans des lignées cellulaires de mammifères.

 

Les grosses molécules protéiques, parfois composées de plus de 1 300 acides aminés et pouvant atteindre 150 000 g / mol (ou 150 kDa), sont essentiellement des copies ou des versions optimisées de protéines humaines endogènes.  Plus de 1000 étapes de processus peuvent être nécessaires pour assembler une protéine complexe.

 

La modification de la protéine originelle se fait par échange systématique des constituants, les acides aminés, jusqu'à ce que le candidat biologique fonctionne mieux que le variant naturel: par exemple en se liant plus étroitement ou plus spécifiquement à sa molécule cible.

 

Chez Bayer, environ 80 000 variantes différentes d'une protéine à optimiser peuvent ainsi être testées chaque jour grâce à un criblage à haut débit entièrement automatisé et à l'utilisation de systèmes de test spéciaux.

 

En Europe,  sur les 76 biomédicaments approuvés par l'Agence européenne du médicament, entre 2012 et 2016, 21 sont allemands, 12 italiens et seulement 5 français. Cependant le groupe français Sanofi investit lourdement dans le domaine (70% de ses investissements).

 

Dans le monde, plus de 900 biologics sont actuellement en développement, pour plus de 100 pathologies.

 

L'essor des biotechnologies en médecine

 Les biotechnologies adaptent ou exploitent les processus identifiés au sein des organismes vivants et fabriqués par des cellules animales ou des micro-organismes comme les bactéries ou les levures.

 

Un médicament biologique est donc élaboré dans un système vivant tel qu'un micro-organisme, ou des cellules végétales ou animales.

 

C'est la découverte de la structure de l'ADN qui a permis de poser les bases du développement des biotechnologies modernes dans la médecine.

 

Les  protéines peuvent-être  ainsi préparées à l'aide du génie génétique.

 

 En 1973 :

Les Américains Stanley Cohen et Herbert Boyer isolent un plasmide de la bactérie Escherichia coli munie d’un gène de résistance contre un antibiotique (tétracycline) et y introduisent un autre gène de résistance contre un autre antibiotique (canamycine). Ils réimplantent le plasmide dans une bactérie ce qui la rend résistante à deux antibiotiques (tétracycline et canamycine.)

 

 Dans la transgénèse, on isole un gène responsable de la fabrication d'une protéine et on le transfère à une bactérie que l'on programme pour fabriquer la protéine correspondant à ce gène. Ces bactéries peuvent donc en produire des quantités importantes que l'on a plus qu'à isoler.

 

De nombreux produits biologiques sont produits aujourd'hui en utilisant la technologie de l'ADN recombinant.

 

En 1982, les États-Unis ont officiellement validé le premier médicament produit par génie génétique, il s'agit de l'insuline humaine utilisée pour le traitement du diabète.

 

Depuis, beaucoup d'autres médicaments issus du génie génétique sont apparus, comme par exemple des médicaments pour le traitement de l'anémie, de l'hémophilie A, de maladies pulmonaires et neurodégénératives, de perturbations de croissance, de la polyarthrite (inflammation des articulations) et de bien d'autres maux.

 

Utilisés en cancérothérapie, les protéines peuvent se lier sélectivement aux récepteurs des cellules cancéreuses, ce qui permet de marquer et de combattre des cellules anormales spécifiques. Les cellules saines ne sont généralement pas attaquées dans ce processus, de sorte que les produits biologiques causent souvent moins d'effets secondaires que la chimiothérapie classique.

 

Immunothérapie - anticorps monoclonaux

Avastin
Avastin

Le traitement de cancers par immunothérapie, se développe grâce aux anticorps monoclonaux (des glycoprotéines).

 

Un anticorps est une molécule dirigée spécifiquement contre une autre molécule, l'antigène. Un anticorps est dit monoclonal lorsqu'il a été produit, de façon industrielle, par une seule lignée de cellules (le clone). La pureté des anticorps monoclonaux leur permet une utilisation à des fins de diagnostic (pour identifier in vitro précisément un antigène recherché) mais aussi thérapeutique. Ils sont utilisés pour le traitement de maladies auto-immunes et de certains cancers en étant couplés à une molécule toxique.

 

Certains anticorps monoclonaux trouvent un antigène spécifique, comme une protéine, sur une cellule cancéreuse et s’y lient. Le système immunitaire sait alors qu’il doit attaquer et détruire ces cellules.

Un exemple de ce type d’anticorps monoclonal est le rituximab (Rituxan). On se sert du rituximab pour traiter certains types de lymphome non hodgkinien, ainsi que la leucémie lymphoïde chronique (LLC).

 

L'avastin (bévacizumab) anticorps monoclonal, inhibiteur de l'angiogenèse, est largement utilisé dans le traitement des cancers (colorectal, sein, ovaire, poumons, glioblastome...). Il est obtenut produit par la technologie de l'ADN recombinant dans des cellules d'ovaire de Hamster Chinois (CHO),  l'une des lignées cellulaires les plus couramment utilisées dans la production de médicaments. 

 

Conjugués anticorps-médicaments

Conjugué anticorps-médicament
Conjugué anticorps-médicament

Les chercheurs utilisent également des anticorps comme molécules porteuses de substances toxiques, dans le but de transporter les poisons cellulaires sur leur site d'action - à l'intérieur des cellules cancéreuses - sans les libérer avant la cible. De telles combinaisons d'anticorps et de toxines cellulaires sont également connues en tant que conjugués anticorps-médicament

 

Ces conjugués médicaments comportent à la fois l'anticorps et une petite molécule active. Nous avons ici réuni la macromolécule biologique et les petites molécules chimiques.

 

Voir : Le trastuzumab emtansine constitué de l' anticorps monoclonal trastuzumab (herceptine) lié à un agent cytotoxique l'emtansine 

 

 

TOP 10 des médicaments biologiques