A partir de 1880, Mendeleïev, triomphant, attend la gloire ; il aura quelques désillusions.
Pourtant, cette année là, la découverte du scandium, élément qui correspond à l'eka-bore de son premier tableau périodique, confirme, une nouvelle fois, la justesse de ses vues.
Mais, au même moment, Lothar Meyer revendique l'antériorité de la découverte du système périodique et son maître, le professeur Voskresensky, casse sa pipe. Enfin, en novembre, Mendeleïev échoue devant les portes de l'Académie nationale des sciences ; il est battu (10 voix contre 9) par Beilstein, qui lui avait succédé à l'Institut de Technologie de Saint-Pétersbourg.
Mais surtout le chimiste russe n'a jamais reçu le prix Nobel. Nominé trois fois, il finit deux fois second ; derrière Adolf Von Baeyer en 1905 et le français Henri Moissan (le premier à avoir isolé le fluor) en 1906.
Le 2 février 1907, Dmitriy Ivanovitch Mendeleïev succombe à une mauvaise grippe.
Son cortège funèbre fut conduit par des étudiants portant à bout de bras des tableaux périodiques géants.
Au fil du temps, le tableau de Mendeleïev eut à subir quelques outrages, aucun ne lui fut fatal, bien au contraire.
En 1894, la découverte de deux gaz "nobles" sur notre planète : l'argon dans l'air par Lord Rayleigh et W. Ramsay, et l'hélium dans un minerai d'uranium par W. Ramsay (l'hélium avait été identifié dans l'atmosphère solaire en 1868), conduisit à l'ajout d'une colonne supplémentaire (celle des gaz rares).
Logiquement, Ramsay put alors prévoir l'existence de trois gaz pour compléter cette nouvelle colonne, conformément à la structure du tableau.
Nouveau succès, car en 1898, le même Ramsay, avec M.W. Travers, isole le néon, le krypton et le xénon. Plus tard, le radon (radioactif) complétera la liste (1900).
La classification eut une autre alerte avec l'identification, sur près de 30 ans (1878-1907), d'une dizaine d'éléments chimiquement voisins, proches d'éléments déjà connus, mais difficiles à situer dans le tableau de Mendeleïev. On les appela «terres rares» et on créa tout un groupe qui fut placé dans la case du lanthane. Ce groupe d'éléments, allant du lanthane (57) au lutécium (71), prit le nom de série des lanthanides.
La justification de la classification de Mendeleïev
" Les éléments sont chimiquement voisins si les couches extérieures de leurs atomes offrent la même configuration électronique».
N. Bohr (1922)
A l'aube du XXème siècle le travail du chimiste russe est définitivement consacré. Cependant les fondements de son œuvre restent mystérieux.
Pour comprendre le tableau, il fallait pénétrer au cœur de l'atome et dévoiler sa structure.
Les recherches sur la structure de l'atome commencent véritablement en 1897, quand Joseph John Thomson découvre l'électron. Dès lors tout s'accélère, son élève, Ernest Rutherford propose en 1911 une structure lacunaire pour l’atome : un noyau très concentré, chargé positivement, qui contient l'essentiel de la masse et un nuage (terme utilisé plus tard par Erwin Schrödinger) électronique fortement dispersé.
En 1913, Niels Bohr, reprend le travail de Max Planck et propose un modèle quantique fort séduisant.
La touche (presque) finale concernant la structure de l'atome est donnée par Schrödinger (1926) après que Louis de Broglie eut postulé la dualité onde-corpuscule (1924).
La seule modification notable -et même fondamentale- du tableau est due au travail du physicien anglais, Henry Moseley, en 1913.
La loi de Moseley, établit une relation empirique entre une fréquence du spectre de rayons X d'un élément et sa charge ou numéro atomique.
Le numéro atomique de chaque élément devint alors une valeur objective, calculable, et on put établir une nouvelle classification des éléments dans laquelle il se substitue au poids atomique.
Les irrégularités constatées par Mendeleïev, liées à l'existence de plusieurs isotopes pour un même élément, disparurent.
Le (presque) dernier mot de l'histoire revient encore à un anglais, lui aussi élève d’Ernest Rutherford à Cambridge, James Chadwick (que l'on retrouvera sur le projet Manhattan à Los Alamos, dès 1943), qui en 1932 met en évidence une particule de masse voisine de celle du proton mais de charge nulle : le neutron.
Dès lors, la notion d'isotopie s'éclaire : des isotopes d'un même élément (même numéro atomique) différent par le nombre de neutrons de leur noyau.
Par exemple le carbone, isotope 12 contient dans son noyau 6 protons et 6 neutrons alors que le carbone 14 contient 6 protons et 8 neutrons. Des isotopes ont les mêmes propriétés chimiques (à l’effet isotopique près) puisque leur configuration électronique est la même.
C’est au savant américain Glenn Seaborg (lui aussi présent à Los Alamos), que nous devons l’insertion des actinides dans le tableau (1944). Il avait également envisagé l'existence de « transactinides » pour les éléments 104 à 120 qui furent ultérieurement mis en évidence en laboratoire.
Au total, 118 éléments chimiques ont été observés à ce jour, 94 sont
naturels et 80 ont au moins un isotope stable.
Conclusion
Sur plus de 150 ans, de Lavoisier à Seaborg, les recherches à propos de la classification périodique des éléments accompagnent et stimulent les progrès de la chimie et de la physique nucléaire.
Le tableau de Mendeleïev peut-être considéré comme une sorte de catalyseur d'un travail où nous avons retrouvé les plus grands noms de la chimie et de la physique du XIXème et du début du XXème siècle.
Saluons en particulier l'exceptionnelle contribution du célèbre Laboratoire Cavendish de Cambridge ou s'illustrèrent notamment :
Lord Rayleigh, prix Nobel de physique (1904),
Joseph John Thomson, prix Nobel de physique (1906),
Ernest Rutherford, prix Nobel de chimie (1908),
William Lawrence Bragg, prix Nobel de physique (1915),
Francis William Aston, prix Nobel de chimie (1922),
Charles Thomson Rees Wilson, prix Nobel de physique (1927),
James Chadwick, prix Nobel de physique en (1935).
Pour compléter le tableau de chasse de cette institution, rappelons que plus récemment James Watson et Francis Crick ont obtenu le prix Nobel de médecine et physiologie (1962) pour avoir déterminé en 1953 la structure en double hélice de l'ADN.
Il y a 150 ans, Dmitri Mendeleïev publiait sa célèbre table. Une avancée considérable pour la chimie et les sciences, dont je retrace l'histoire et les tenant et les aboutissants, sur ce site :
A cette occasion, L’UNESCO a donné le coup d’envoi, le 30 janvier 2019 à Paris, de l’Année internationale du tableau périodique des éléments chimiques pour sensibiliser le grand public à l’importance de la chimie et de ses applications pour le développement durable.
La revue Science propose un dossier spécial, très complet, à propos de cet événement.