" Un peuple qui croit que c’est la croyance d’un Dieu et non pas les bonnes lois qui font les honnêtes gens ne me paraît guère avancé. ..
La croyance d’un Dieu fait et doit faire presque autant de fanatiques que de croyants. Partout où l’on admet un Dieu, il y a un culte ; partout où il y a un culte, l’ordre naturel des devoirs moraux est renversé, et la morale corrompue.
Tôt ou tard, il vient un moment où la notion qui a empêché de voler un écu fait égorger cent mille hommes. Belle compensation !
Tel a été, tel est, tel sera dans tous les temps et chez tous les peuples l’effet d’une doctrine sur laquelle il est impossible de s’accorder et à laquelle on attachera plus d’importance qu’à sa propre vie."
Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland, 6 octobre 1765
Pourquoi toutes ces cornes ?
J'écoute souvent le soir, entre 22h15 et 23h, Laure Adler sur France Culture.
Femme dont l'érudition m'éblouit, ouverte sur le monde et sur tous les mondes, une anti Finkie en quelque sorte.
Cette semaine elle donnait la parole à des intellectuels francophones algériens. Des femmes militantes, souvent meurtries dans leur chair lors des événements de la décennie noire - les années 90 - des écrivains et journalistes engagés, comme Kamel Daoud, dont j'ai lu récemment le brillant " Meursault, contre-enquête ", privé pour une voix d'un Goncourt largement mérité.
Tous faisaient le même constat : si en Algérie les islamistes les plus sectaires, les plus violents, ont rendu les armes, ils n'en ont pas moins mis la main sur la société civile, avec la bénédiction d'un pouvoir déliquescent, symbolisé par une momie sur fauteuil roulant, Bouteflika, privé de l'usage de la parole et d'une partie du cerveau.
Kamel Daoud, "condamné à mort" sur les ondes et dans la presse pour "apostasie et hérésie" par un imam salafiste, qui peut librement appeler au meurtre sur ses chaînes de télévision, confiait que le combat pour le retour d'un islam des lumières était déjà perdu pour sa génération.
Cela ne l'empêche pas de se battre "pour ses valeurs", pour l'idée qu'il se fait de son pays, du monde arabe, pour la jeunesse. Au péril de sa vie, il dénonce les deux pouvoirs, celui qui impose la photo de l'impotent président sur les manuels scolaires, celui qui veut faire régner dans les villes et les villages son "ordre moral".
Certes nous voyons un peu partout en France, en Europe, au Maghreb, dans le monde musulman, pousser les cornes de cette "rhinocérite" que dénonce l'écrivain algérien : ces voiles plus ostensibles, ces barbes qui s'allongent, ces cerveaux qui rétrécissent, ces fanatiques qui ont pignon sur rue et cette peur qui conduit à l'autocensure. Mais si l'Europe a les moyens de vaincre l'obscurantisme, si le Maroc, par son makhzen et ses brillants intellectuels, tient la bête à distance, si la Tunisie grâce à ses femmes, à sa gauche, à ses laïcs, paraît avoir coupé sa corne, en Algérie rien n'est réglé et la peur d'un nouvel affrontement violent, rarement exprimée, transpire dans tous les témoignages.
Au-delà de l'Algérie, le fondamentalisme islamique fera-t-il donc écho, dans le monde musulman, aux ignominies des totalitarismes européens du siècle dernier ? L'histoire montre que de petites minorités fanatisées et ultra-violentes, utilisant à merveille les outils de la propagande (on peut imaginer ce qu'aujourd'hui un Goebbels pourrait réaliser avec internet !), agissant sur les terres fertiles du désespoir et de la misère, peuvent très rapidement accéder au pouvoir. C'est ce que veut réaliser DAESCH au Moyen-Orient, et ce ne sont pas les potentats fantoches ou médiévaux du Golfe qui vont bien longtemps faire obstacle à leur progression, du moins dans les esprits.
Pour l'heure, c'est toute une génération de brillants intellectuels, héritiers de tous ces grands poètes, savants, médecins arabes et persans, maillons essentiels dans la chaîne du savoir, que des illuminés bornés veulent réduire au silence.