Ce samedi 08 janvier 2011 on célébre, à Jarnac, le 15ème anniversaire de la mort de François Mitterrand.
Cet homme est un problème pour moi : si j'analyse lucidement son parcours, je dois convenir que nombre d'épisodes de cette vie fort tortueuse, heurtent mes convictions et parfois me choquent profondément. En particulier cette amitié jamais démentie avec l'ignoble Bousquet.
Et pourtant j'ai pour lui une sorte d'admiration, que même le dernier ouvrage de Benjamin Stora n'arrive pas à réduire (pour être convaincant Stora aurait dû citer les autres dirigeants politiques de l'époque ; à part Mendès, aucun n'est exempt de gros reproches).
Pourquoi ?
Sans doute -et peut-être avant tout- parce que pour les hommes de ma génération, il a représenté le dernier espoir d'avènement d'une nouvelle société, plus libre, plus fraternelle, plus solidaire. Espoir qui n'existe plus aujourd'hui.
Si l'on se replace dans le contexte de l'époque :
- des media contrôlés directement par l'Elysée (les Duhamel frères, Elkabbach, Poivre d'Arvor... sévissaient depuis une dizaine d'années en temps que cireurs de pompes officiels),
- un affairisme sans précédent dans l'entourage immédiat du pouvoir (assassinats de Boulin, Fontanet, De Broglie...jamais élucidés),
- la confiscation du pouvoir (et des avantages qui vont avec) par une petite caste d'héritiers (félons) du gaullisme (Chirac en tête),
- la médiocrité du personnel politique (déjà),
- le début du chômage de masse pour les jeunes après le premier choc pétrolier,
- la ghettoisation du sous-prolétariat immigré au moment où le président (Giscard d'Estaing) fricotait avec les tyrannaux africains...,
... on peut comprendre que pour la gauche, mais aussi pour toute une jeunesse,exaspérée par le retour de bâton qui avait suivi mai 68, les 110 propositions de Mitterrand (dont une centaine fut appliquée ; on n'a pas revu cela depuis !) incarnaient l'espoir de jours meilleurs.
On connait la suite : les débuts exaltants (abolition de la peine de mort, libéralisation des ondes, SMIC relevé, congés payés augmentés, régularisation massive des travailleurs sans-papiers...), le réalisme économique qui revient en boomerang (quelle énorme contradiction entre la volonté d'aller vers plus d'Europe et la nationalisation du système bancaire !).
Le deuxième mandat, avec Rocard qu'il détestait, vit le retour des combines politiciennes (débauchage de centristes douteux, comme Jean-Pierre Soisson, allié ensuite du FN dans sa région !). L’affaiblissement lié à la maladie mit en lumière les comportements douteux de l'entourage immédiat (dont celui du très proche Roland Dumas). Les écoutes téléphoniques furent révélés... etc.
15 ans après, que reste-t-il donc à admirer ?
Le courage d'abord. Nul besoin, comme l'histrion qui nous gouverne aujourd'hui, d'insulter le pauvre peuple (sous la protection de ses gorilles) pour en faire la démonstration ! Mitterrand n'a jamais tremblé intellectuellement (face à l'acharnement de ses adversaires politiques), ni physiquement (dans la résistance, face à la maladie, devant l'adversité...).
L'immense culture de cet homme ensuite, à qui nous devons de belles réalisations (réhabilitation du Louvre, Opéra Bastille, grande bibliothèque) et qui, sur ce plan, a fait honneur à sa fonction.
Le respect qu'il sut inspirer à l'étranger, sa résistance face aux pressions de l'URSS et des USA, l'achèvement de la réconciliation franco-allemande. Entaché hélas par une politique africaine mené un temps par un homme courageux (Jean-Pierre Cot) mais confiée très vite aux mains d'un fils minable et cupide.
Le temps qui passe tend à embellir les belles actions et à estomper les ombres et les turpitudes. Nous avons l'oubli sélectif ! D'autant que la succession fut calamiteuse avec un Chirac insipide, sachant se servir avant de servir, et un(e) espèce de ludion inculte, à l'ego gonflé mais à la tête vide, camelot de la politique vendant de la pacotille et de la poudre aux yeux, dont le verbe est pieusement recueilli par des media aux ordres et des journalistes serviles. Un homme qui met à mal notre démocratie et nous prépare des lendemains très incertains.
Pour moi, un dernier aspect positif paradoxal : la trajectoire de Mitterrand me conforta dans la volonté, qui s’était intuitivement imposée, de ne jamais idolâtrer quiconque, de ne jamais aliéner ma liberté de pensée, de toujours donner la préférence aux idéaux, aux convictions, face aux hommes et aux organisations. J’ai haï toute forme d’embrigadement, toute camisole idéologique, tous ces ouvrages du prêt-à-penser que les philosophes et les élites offrent aux peuples du haut de certitudes… dont ils changent avec d’autant plus de facilité que leur position dans la cité se renforce.
PS : le journal Midi-Libre de ce jour rapporte ces propos de Gérard Saumade ancien député et président du Conseil Général de l'Hérault :
« Un jour, raconte Gérard Saumade, Mitterrand et Pierre Joxe viennent manger à Gignac avec le député PS Gilbert Senes. Au moment de repartir, Mitterrand exige du pilote de survoler le cimetière de Sète, où est enterré Paul Valéry. Ensemble, nous réciterons quelques strophes du fameux poème le Cimetière marin... »