J’étais cet été en Bretagne et j’en ai profité pour « me recueillir », à Portsall, devant l’ancre imposante du pétrolier Amoco Cadiz dont le naufrage, au large des côtes bretonnes, provoqua une marée noire considérée, aujourd'hui encore, comme l'une des pires catastrophes écologiques de l'histoire.
C’était le 16 mars 1978, ce supertanker récent, de 330 m de long, affrété par une filiale de la Standard Oil, s'échouait en face du village de Portsall.
Plus tard ce fût le naufrage de l’Erika, affrété par le groupe Total, dont les conséquences écologiques furent dramatiques : près de 300.000 oiseaux sont morts, dont 61 espèces touchées, à l’issu de ce qui reste la plus grande catastrophe ornithologique mondiale.
Malheureusement la pollution en Bretagne ne vient pas que de la mer : elle vient aussi de la terre et les responsables des catastrophes écologiques ne sont pas que les grands pétroliers ; il faut, hélas, y ajouter les bretons eux-mêmes (ou plus exactement leurs agriculteurs).
Je fais allusion ici aux marées vertes qui depuis les années 1970 polluent une grande partie du littoral breton.
Les côtes bretonnes, surtout la côte nord, voient se répéter tous les ans à la belle saison, avec plus ou moins d'intensité, le même phénomène de prolifération rapide et d'accumulation d'algues vertes du genre Ulva, appelées communément « laitue de mer », essentiellement des espèces Ulva armoricana et Ulva rotundata (en Bretagne-sud).
Ces marées vertes, qui défigurent le littoral, sont aussi redoutables par la toxicité qui peut résulter de leur décomposition. Les faits divers tragiques signalés récemment ne sont pas totalement inédits et pourraient se répéter à plus grande échelle.
La prolifération exponentielle de ces algues a fait l’objet de multiples études depuis plus de 20 ans. L’IFREMER notamment a publié des articles qui ne laissent aucun doute sur son origine : les pourcentages de l'origine agricole dans les excédents azotés des bassins versants à ulves varient, à une exception près (près d’une station d’épuration), de 95 à 99% !
En effet pour se développer ces algues (comme toutes les autres), ont besoin d'azote et de phosphore. La réserve de phosphore se trouve dans les sédiments du bord de mer. Une réserve qui est énorme et qui peut être libérée au fur et à mesure de la demande.
Mais beaucoup de Chlorophycées (algues "vertes" en général) sont des algues nitrophiles (= demandeuses de beaucoup d'azote), et les ulves plus que tous les autres genres.
Or l'azote, lui, n’est que très peu dans les sédiments. C’'est donc le facteur limitant de la prolifération.
Sans azote pas de prolifération. Mais l’agriculture bretonne, via les nitrates notamment, fournit sans compter l’azote nécessaire à la formation de ces monstrueuses marées vertes.
Le taux élevé de nitrates dans les rivières -dû à l'élevage intensif et aux engrais- est responsable de la prolifération des algues en Bretagne. Ceci n’est plus contesté.
Mais que font les pouvoirs publics ???
On peut en effet se poser la question ! L’Express.fr du 9 septembre 2009 retrace l’historique du phénomène après avoir souligné que :
La filière agricole bretonne représente 7 % de la surface agricole française, mais 50 % des élevages de porcs, 50 % des élevages de volailles et 30 % des bovins. En Bretagne, le taux moyen de nitrates dans l'eau s'élève à 35 mg/l, mais il y a des rivières où ce taux atteint 80 mg/l, alors que la norme de 50 mg/l est déjà considérée comme trop élevée par les défenseurs de l'environnement.
Dans la chronologie détaillée établie par l'hebdomadaire, j’ai extrait quelques faits récents :
Juillet 1999: un ramasseur d'algues tombe dans le coma; on soupçonnera plus tard l'hydrogène sulfuré produit par la décomposition des algues.
8 mars 2001: la Cour de justice européenne déclare que la France a enfreint la directive sur la qualité des eaux de surface; 37 points de captage dépassent la norme de 50 mg/l de nitrates.
Mai 2001: condamnation de l'Etat par le tribunal administratif de Rennes à la demande de la Lyonnaise des eaux pour manque de vigilance à l'égard des pratiques agricoles polluantes. Poursuivi par des consommateurs protestant contre la mauvaise qualité de l'eau, le distributeur, condamné à verser 251 000 francs aux plaignants, se retourne contre l'Etat.
27 juin 2002: arrêt de la Cour de justice européenne condamnant la France pour non-respect de la directive de 1991 sur la protection des eaux contre la pollution par les nitrates.
Février 2004: Eaux et rivières et trois autres associations portent plainte contre l'Etat qui, selon elles, ferme les yeux sur les élevages dont le nombre de têtes grossit clandestinement et ne contrôle pas le respect des normes d'épandage du lisier par les exploitants.
Juin 2006: le projet de loi sur l'eau présenté aux députés est vidé de sa substance après plusieurs années de lobbying des principaux syndicats agricoles; le principe "pollueur-payeur" est abandonné.
Février-mars 2007: manifestations agricoles contre les mesures proposées par la préfecture (limitation de la fertilisation azotée sur 9 bassins et réduction des cheptels); les locaux brestois d'Eau et rivières sont saccagés.
Juin 2007: la Commission européenne saisit une nouvelle fois la Cour de justice.
Septembre 2007: nouveau sursis de Bruxelles. La France s'engage à rendre obligatoire, à partir du 1er janvier 2008, le plan "qualité des eaux" initialement basé sur le volontariat.
25 Octobre 2007: l'Etat est condamné à verser 2000 euros de dommages et intérêts à Eaux et rivières de Bretagne par le tribunal administratif de Rennes, en raison de sa responsabilité dans la prolifération des algues vertes.
Juillet 2008: deux chiens meurent brutalement, victimes du gaz exhalé par les algues en baie de Saint Brieuc.
Juillet 2009: le Grenelle de l'environnement promet d'accélérer la réduction de l'usage des phosphates et nitrates voire de réduire leur usage de 40 % d'ici à 2012-2014 sur les zones les plus fragiles.
Août 2009: un maire de la région de Lannion interdit à la promenade une partie du littoral de sa commune après la mort d'un cheval, probablement liée à la concentration d'algues vertes.
20 Août 2009 : au lendemain de la révélation par la presse d'un rapport de l'Institut national de l'environnement et des risques (Ineris) qui confirme la toxicité des algues
vertes, François Fillon annonce la création d'un mission interministérielle.
Septembre 2009 : un élu des Côtes d'Armor révèle avoir alerté la préfecture après avoir appris la mort d'un salarié qui transportait des algues vertes fin juillet.
Voici ce que l'on peut lire dans le rapport de l’INERIS (Institut National de l'EnviRonnement industriel et des rISques), rattaché au Ministère de l’Ecologie, suite aux évènements récents (Etude réalisée le 13 août 2009 à St Michel en Grève (Côtes d’Armor) :
Composés soufrés identifiés : H2S, mercaptans (thiols) et DMS (diméthylsulfure qui peut lui aussi provoquer des pertes de conscience par déficit en oxygène).
En ce qui concerne les produits les plus toxiques, deux zones sont décrites :
- en début de décomposition de la matière organique : teneur importante en DMS et faible en H2S
-en zone de décomposition avancée : forte concentration en H2S, faible teneur en DMS et présence –évidemment-de méthane.
La teneur en H2S rencontrée dans les zones de décomposition avancée des algues atteint 1000 ppmv, il s’agit d’une concentration mortelle en quelques minutes.
Il faut savoir que la limite d’exposition professionnelle (LEP) à l'hydrogène sulfuré se situe entre 10 et 15 ppm !
L’hydrogène sulfuré (comme le DiMéthylSulfure) est plus lourd que l’air et peut donc former des nappes se propageant au niveau du sol. De plus, à de fortes concentrations (supérieure à 100 ppmv), il peut perdre sa très forte odeur caractéristique d’œuf pourri (effet anesthésiant) et donc passer quasiment inaperçu.
On sait que ces composés soufrés volatils (CSV) sont essentiellement formés par la décomposition de deux acides aminés soufrés présents en teneur importante dans les algues vertes : la méthionine et la cystéine. On sait aussi que plusieurs souches de bactéries sont aptes à produire de l’hydrogène sulfuré par le catabolisme de la méthionine et de la cystéine.
Pour terminer il suffit de lire la conclusion de l’étude de l’IFREMER intitulée :
Marées vertes en Bretagne : état actuel des connaissances
publié dans les Actes du Colloque : Pollutions diffuses : du bassin versant au littoral
Ploufragan, 23-24 septembre 1999
Le constat des marées vertes et la description du phénomène et de ses origines ont été établis depuis une douzaine d'années. L'augmentation des flux de nitrate provenant de l'intensification de l'agriculture bretonne en est la cause. Un modèle mathématique de ces proliférations a été construit et appliqué aux baies de Lannion et Saint-Brieuc. Avec cet outil, il est possible de simuler les effets sur les marées vertes que l'on peut attendre de différents scénarios d'abattement des flux de nitrate, selon les sites d'application.
Durant cette douzaine d'années, le phénomène s'est amplifié, et la lutte effective n'a pas dépassé le ramassage.
Pour juguler les marées vertes, il est évidemment nécessaire que les efforts de restauration de la qualité de l'eau soient suffisamment intenses pour parvenir à inverser la tendance actuelle à l'aggravation. Jusqu'ici la collectivité a enduré cette atteinte au littoral comme une partie du prix à payer pour le développement d'une agriculture très intensive.
Le simple aménagement de ce système agricole dans une direction plus respectueuse de l'environnement suffira-t-il à redresser la situation, ne serait-ce qu'à long terme ? La question reste posée.
Il faut bien constater que 10 ans après RIEN n'a bougé.
On ne peut donc s'empêcher de sourire (au mieux) de toute cette agitation autour de la Taxe carbone (dont justement les agriculteurs veulent être exemptés !). Si les deux tiers des français sont hostiles à la Taxe c'est bien sûr du fait de leurs problèmes économiques mais aussi parce que les pouvoirs publics ont perdu -depuis longtemps- toute crédibilité en matière de gestion de notre environnement.
NB : voir ICI un document récent de l'IFREMER
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