Ce 24 juin, j’ai assisté à la mue imaginale d’une nymphe de cigale et au premier envol de l’insecte parfait.
Voici comment le grand entomologiste (considéré par beaucoup comme l'un des pères de l'éthologie) Jean-Henri Fabre décrivait la vie de la cigale en 1897 :
La vie souterraine de la Cigale en ses débuts nous échappe. Celle de la larve bien développée n'est pas mieux connue. Dans les travaux des champs, à quelque profondeur, rien de plus commun que de rencontrer sous la bêche la rude fouisseuse ; mais la surprendre fixée sur les racines qui l'alimentent incontestablement de leur sève, c'est une tout autre affaire.
L'ébranlement du sol travaillé l'avertit du péril. Elle dégage le suçoir pour faire retraite dans quelque galerie ; et quand elle est mise à nu, elle a cessé de s'abreuver.
Quelques cultivateurs de bonne volonté, occupés en mars à des défoncements profonds, se sont fait un plaisir de me ramasser toutes les larves, petites et grandes, que leur travail exhumait. La récolte fut de quelques centaines. Des différences de taille fort nettes partageaient le total en trois catégories : les grandes, avec rudiments d'ailes comme en possèdent les larves sortant de terre, les moyennes et les petites. A chacun de ces ordres de grandeur doit correspondre un âge différent. Adjoignons-y, les larves de la dernière éclosion, animalcules forcément inaperçus de mes rustiques collaborateurs, et nous aurons quatre années pour la durée probable des Cigales sous terre.
La vie aérienne s'évalue plus aisément. J'entends les premières Cigales vers le solstice d'été. Un mois, plus tard, l'orchestre atteint sa pleine puissance. Quelques retardataires, fort rares, exécutent de maigres solos jusqu'au milieu de septembre. C'est la fin du concert. Comme la sortie de terre n'a pas lieu pour toutes à la même époque, il est clair que les chanteuses de septembre ne sont pas contemporaines de celles du solstice. Prenons la moyenne entre ces deux dates extrêmes, et nous aurons environ cinq semaines.
Quatre années de rude besogne sous terre, un mois de fête au soleil, telle serait donc la vie de la Cigale. Ne reprochons plus à l'insecte adulte son délirant triomphe. Quatre ans, dans les ténèbres, il a porté sordide casaque de parchemin ; quatre ans, de la pointe de ses pics, il a fouillé le sol ; et voici le terrassier boueux soudain revêtu d'un élégant costume, doué d'ailes rivalisant avec celles de l'oiseau, grisé de chaleur, inondé de lumière, suprême joie de ce monde. Les cymbales ne seront jamais assez bruyantes pour célébrer de telles félicités, si bien gagnées, si éphémères.
Souvenirs entomologiques, Jean-Henri FABRE, 1897, Vème Série, Chapitre 17.
Jean-Henri Fabre est un grand entomologiste provençal (né en Aveyron, mort en Vaucluse).
« Un grand savant qui pense en philosophe, voit en artiste, sent et s'exprime en poète », Jean Rostand
Ses descriptions sont des petits bijoux, parfois des poèmes et toujours un hymne à la nature :
Je rêve au chant de l’Oecanthus pellucens - le petit grillon aux pattes ciselées, longues, fragiles qui a une tête arrondie d’un si beau noir et des ailes marrons-dorées si sagement pliées : un vrai bijou. Je le sais, je l’ai lu quelque part, ses stridulations atteignent la pression acoustique d’un orchestre symphonique pianissimo. Pour bien entendre le concert, pour être vraiment aux premières loges, il faut : circonscrire un lieu, délimiter une parcelle de pré, localiser l’insecte, s’en approcher le plus possible, passer de la position verticale à la position horizontale...
« Comment s’étonner de cet art littéraire lorsqu’on sait que l’homme lisait dans le texte le latin et le grec ; qu’il fréquentait assidûment Aristote, Pline, Virgile ; qu’il appréciait Pascal, Montaigne, La Fontaine, Dante et surtout, surtout Rabelais qui le faisait beaucoup rire ; sans oublier les contemporains qu’il admirait... Certains le lui rendirent, d’ailleurs. Hugo lui décerna le titre de "Homère des insectes" ». Chloé Hunzinger
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