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Sans voile(s) ?

La presse du 18 juin 2009 :

 

Le député communiste André Gerin souhaite la création d'une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab. Son texte est cosigné par 58 députés de tous bords politiques.

 

André Gérin rejoint ainsi les actions de différentes associations féministes (1).

 

Cela me fait plaisir qu'un député de gauche, élu et maire d'une grande cité populaire, ose mettre sur la table un sujet aussi difficile, que beaucoup traitent de façon caricaturale.

En effet c'est dans l'interprétation même des valeurs fondatrices de notre république que se trouve le dilemme :

 

- le port du voile islamique est-il compatible avec la conception républicaine des droits de l'homme (et de la femme), de l'égalité des sexes, avec la notion de laïcité ?

- l'interdiction du port du voile est-il compatible avec l'esprit de tolérance, la défense des libertés individuelles, le respect de la diversité, de l'autre et de ses valeurs ?

 

Le  Coran prescrit le port du voile dans le verset 30-31 de la sourate 24 (Annou) :

"Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils...".

 

 Un croyante peut donc formellement alléguer que la pratique de sa religion lui impose cette tenue.

 

En vertu des valeurs que je citais plus haut comment pourrait-on lui interdire de respecter ce commandement ?

 

Cependant avec le port de la burqa ou du hijab iranien le problème à mon avis se pose de façon différente. Pour avoir vécu, enseigné, séjourné outre-méditerranée, pour avoir maintenu des contacts scientifiques et amicaux avec de nombreux musulmans (et musulmanes), je ne peux que constater que depuis le début de ce siècle le port du vêtement islamique par les femmes a changé dans sa forme et dans sa signification.

 

Dans sa forme, car souvent les jeunes maghrébines (de plus en plus nombreuses) qui se voilent ne portent plus la tenue traditionnelle de leur mère, mais les tenues chiites venues d'Iran ou pire pour certaines l'horrible burqa venues d'Afghanistan.


Dans sa signification, car ces jeunes femmes expriment (volontairement ou sous la contrainte) par cette tenue, non seulement leur piété, mais surtout un rejet : celui de la civilisation occidentale corrompue qui fait du corps de la femme une marchandise (ces femmes sans voiles qui s’étalent sur la toile…), celui d’une société sans foi, sans Dieu, sans respect…

 

Ce retour au fondamentalisme a des raisons multiples. L’échec économique et l’affaiblissement politique et culturel des pays arabes dirigés par des hommes corrompus (soutenus par les USA et l’Europe), les croisades occidentales en Irak et en Afghanistan, le soutien inconditionnel accordé par l’occident à l’état hébreu… donnent du crédit aux imans les plus conservateurs, les plus rétrogrades, qui prêchent un retour aux pratiques originelles.

 

Il n’y a pas de solution miracle pour un vrai problème qui accentue les manifestations xénophobes, y compris dans les pays du nord de l’Europe où l’extrême-droite fait une percée inédite.

 

On sait cependant depuis des siècles que l’on ne combat pas l’obscurantisme à coup de lois et de décrets mais par l’éducation. La politique de la ville est au cœur de ce débat. Elle a été mise en avant par tous les gouvernements depuis plus de 20 ans à des fins de propagande, sans que les moyens nécessaires aient été déployés.

 

Il faut certes faire régner l’ordre républicain dans les quartiers ; pas seulement celui des matraques, mais aussi celui qui assure l’éducation pour tous, confère le savoir et permet la reconnaissance.

 

NB : pour aller au delà de cette actualité il serait nécessaire de relire les principaux travaux relatifs aux codes vestimentaires dans les civilisations méditerranéennes (voir par exemple : L’honneur et la honte en méditerranée ICI).

De consulter les travaux de Germaine Tillion, ethnologue (mais aussi chef du Réseau de Résistance du Musée de l’homme, déportée, une des rares femmes Grand-croix de la Légion d’Honneur) et de lire notamment « Le harem et les cousins » qui explique très bien l’origine de la claustration des femmes et du port du voile, qui sont bien antérieurs à l’apparition de l’islam.

 

Je retiens cette phrase d’Elisabeth Wilson (Visiting Professor of Cultural Studies at the London College of Fashion, University of the Arts, Londres) :

 

“ Ce qu’il y a d’étrange dans le vêtement tient en partie au fait qu’il relie le corps biologique à

l’être social, le public au privé. C’est pourquoi il s’agit d’un territoire troublant, dans la mesure où il nous oblige à reconnaître que le corps humain est plus qu’une entité biologique. Il s’agit d’un organisme inscrit dans une culture, voire même d’un artéfact culturel, et ses propres frontières sont mouvantes.

 

Adorned in Dreams, Elizabeth Wilson, 1987

 

(1) Extraits du recours de l’association Regards de Femmes auprès de la Halde.

 

Le voile, signe discriminatoire, est une atteinte à la dignité de l’être humain, en particulier à la dignité des femmes…


Les femmes voilées, premier signe de la montée de l’obscurantisme dans les Etats où les islamistes prennent le pouvoir, sont de plus en plus visibles dans la République Française...


Contraindre des femmes de confession ou de filiation musulmane à se voiler dans l’espace public entraine une séparation visible dans l’espace commun et entérine l’idée d’une différence fondamentale entre celles qui s’autoproclament « bonnes musulmanes » et toutes les autres femmes...


Or le voile est un marqueur de discrimination sexuelle et la manifestation la plus archaïque et « claustrante » de l’oppression des femmes. Il s’agit de maintenir l’enfermement des femmes afin que même dehors, elles restent « dedans ». C’est leur voler leur identité puisqu’elles ne doivent pas être identifiables dans l’espace public

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