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La beauté des mathématiques

  « Ce qui nous attire, nous frêles humains, vers les mathématiques, c’est qu’elles confrontent l’incertitude et le caractère relatif de la pensée humaine à l’absolue certitude de la vérité mathématique. » David Ruelle

 

Les mathématiques m'ont toujours fasciné. Un parcours scolaire erratique, mais sans doute aussi des capacités d'abstraction insuffisantes, m'ont conduit vers d'autres rivages.

 

Parmi les sciences, je mets bien sûr les mathématiques au-dessus de tout. D'ailleurs aujourd'hui quel scientifique peut se passer des mathématiques ?

 

Malheureusement nos pédagogues n'ont toujours pas intégré cette donnée. A l'université la majorité des collègues de chimie, de biologie, des sciences de la terre... n'ont qu'un but, éliminer au plus tôt les mathématiques de leurs cursus. Pour ne pas effrayer les étudiants, il est vrai fort peu armés par le lycée pour affronter l'algèbre linéaire !

 

Ce qui m'attire dans les mathématiques, au-delà de la rigueur d'une démonstration, c'est l'esthétique de la forme. Beauté des nombres, des équations, des courbes, des symétries. Elégance du geste du chercheur qui s'affirme parfois dans la gratuité de la démonstration d'un théorème, comme celui de Fermat.

 

Pour moi, ce qui est beau est simple, limpide. Quoi de plus limpide que la machinerie mathématique : à partir d'un énoncé supposé vrai (les axiomes), avec des règles de déduction, le mathématicien énonce de nouveaux théorèmes. Simplement muni d'un langage formel, de lois strictes de déduction et d'un ensemble d'axiomes, le mathématicien peut partir à la conquête de l'univers.

 

Je retrouve dans le livre de David Ruelle (1), que je viens seulement de découvrir, un écho à ces propos.

 

David Ruelle est un physicien théoricien -presque un mathématicien donc !- Sa passion pour les mathématiques ne l'aveugle pas : à propos d'Alexandre Grothendieck, dont j'ai longuement parlé sur ce site il écrit par exemple, :  "Il s’est passé quelque chose de peu honorable. Et l’élimination de Grothendieck restera une tache dans l’histoire des mathématiques du XXème siècle ".

 

Il ne cache pas non plus que les mathématiques restent souvent un outil de sélection, y compris au sein de sa communauté. Il rappelle comment à l'université de Moscou, sous le régime soviétique, on instaurait des quotas d'enseignants juifs en leur proposant au concours des démonstrations quasiment infaisables dans le temps imparti.

 

S'il parle du formidable apport du groupe Bourbaki, de la grande qualité des mathématiciens français du XXème siècle,  il n'omet pas de dire qu'il y a des salauds partout, y compris chez les mathématiciens et à propos de la communauté scientifique  il écrit :

 

"Il ne fait aucun doute que certains d'entre eux sont des salauds et d'autres des tricheurs. Il m'arrive d'être impressionné par la force morale d'un collègue, mais également par la faiblesse d'un autre."

 

Ce que j'ai pu noter assez souvent dans mon métier d'enseignant-chercheur ! Les pires étant les salauds gentils, ceux qui vous tirent dans le dos !

 

Je pense en effet comme lui que même si les aspects moraux et politiques de la science ne constituent pas notre objectif principal, nous ne pouvons uniquement nous consacrer à la beauté platonicienne des formes.

 

Mais il sait surtout choisir des exemples frappants pour nous dévoiler la diversité des approches mathématiques. A propos du théorème du papillon dont la démonstration, qui parait aisée, s'avère difficile en géométrie euclidienne, il montre qu'une autre approche (en géométrie projective) le rend presque évident... c'est la beauté cachée des mathématiques !

 

Les mathématiques se sont encore épurées avec l'introduction explicite des structures (comme la structure des groupes). David Ruelle revient à ce propos sur l'apport d'A.Grothendieck qui a proposé une vue dynamique des structures :

 

"On n'attaque pas un problème de front, mais on l'enveloppe et le dissout dans une marée montante de théories générales."

 

Tout cela sans perdre de vue les problèmes à résoudre... ou à dissoudre !

 

Le mathématicien a donc accès au monde élégant des structures naturelles tout comme, selon Platon, le philosophe peut atteindre au monde lumineux des idées pures.

 

... nous savons qu'il y a une différence du tout au tout entre celui qui est versé dans la géométrie et celui qui ne l'est pas. Platon, La République, Livre VII

 

Les grands mathématiciens sont-ils donc des surhommes ? En tout cas souvent des hommes à part semble penser David Ruelle qui remarque "que beaucoup ne sont pas bien adaptés socialement."

 

Il rappelle le lien fait avec l'autisme par Ioan James : " Il a été avancé que des caractéristiques autistiques modérés peuvent être à l'origine de l'obstination et de la détermination qui permettent d'exceller, spécialement lorsqu'elles sont combinées à un haut niveau d'intelligence."

 

David Ruelle, qui évoque dans ce livre les apports de nombreux grands mathématiciens, indique que nombre d'entre-eux ont été victimes de graves dépressions : Kurt Gödel, qui est mort d'inanition de peur d'être empoisonné, David Hilbert (dont la distraction était légendaire), Felix Klein et Alan Turing, mathématicien  homosexuel anglais condamné en 1952 à subir pendant un an  des injections d'hormones féminines. Il se suicidait deux ans plus tard.

 

Vous trouverez sur ce site une ébauche de sujet autour des mathématiques (art, poésie, sciences...), que j'espère pouvoir nourrir au fil du temps. Nul besoin d'aimer les mathématiques pour découvrir dans ces pages leur beauté et l'admiration qu'elles suscitent.

 

"Nous devons être prêts à admettre que la perfection, la pureté, la simplicité que nous aimons en mathématiques sont liées métaphoriquement à notre quête de perfection, de pureté et de simplicité humaines."

 

(1) David RUELLE, L'étrange beauté des mathématiques, Odile Jacob (2008)