L'alchimie : une proto-chimie ?

 

  La chimie est née d'hier: il y a cent ans à peine qu'elle a pris la forme d'une science moderne. Cependant les progrès rapides qu'elle a faits depuis ont concouru, plus peut-être que ceux d'aucune autre science, à transformer l'industrie et la civilisation matérielle, et à donner à la race humaine sa puissance chaque jour croissante sur la nature. C'est assez dire quel intérêt présente l'histoire des commencements de la chimie. 

Or ceux-ci ont un caractère tout spécial: la chimie n'est pas une science primitive, comme la géométrie ou l'astronomie; elle s'est constituée sur les débris d'une formation scientifique antérieure; formation demi-chimérique et demi-positive, fondée elle-même sur le trésor lentement amassé des découvertes pratiques de la métallurgie, de la médecine, de l'industrie et de l'économie domestique.

Il s'agit de l'alchimie, qui prétendait à la fois enrichir ses adeptes en leur apprenant à fabriquer l'or et l'argent, les mettre à l'abri des maladies par la préparation de la panacée, enfin leur procurer le bonheur parfait en les identifiant avec l'âme du monde et l'esprit universel.

Marcelin Berthelot, Origine de l’alchimie

 

Le laboratoire chimique doit énormément à l'alchimie et Marcelin Berthelot ne considère l'alchimie que sous cet angle ; comme une proto-chimie

Cette alchimie invente la distillation, l’extraction par les graisses, le bain-marie (du nom de l’alchimiste Marie la Juive), les fourneaux, les cornues, les alambics, les différents creusets… elle découvre les acides et "l’eau régale", mélange d’acides nitrique et sulfurique, qui dissout le métal royal : l’or.

On ne peut donc commencer à parler de chimie sans évoquer l'alchimie. En fait, il n'y a pas une alchimie mais des alchimies. Outre Marcelin Berthelot, des centaines d'auteurs -scientifiques ou non- ont écrit sur l'alchimie.

 

Quelques lieux communs

L'alchimie n’est pas occulte. Elle sera diffusée dans quantité d'ouvrages édités à Paris, Francfort, Strasbourg, Cambridge, Leyde, Bâle...

 

L’alchimie n’est pas une pratique purement ésotérique ou magique. L’alchimiste travaille au laboratoire, même si sa démarche consiste à y vérifier des théories plutôt que d'utiliser l’expérience pour en déduire des principes.

 

L’alchimie est une science vivante : les alchimistes échangent,  se critiquent, se complètent.

 

 

D'où vient l'alchimie ?

Le mot d'alchimie vient de l'arabe alkimiya, lui-même apparenté au grec khêmia, dont l'origine  serait peut-être le mot kemi, par lequel les anciens Egyptiens désignaient la terre noire alluvionnaire de la vallée du Nil.

En effet, iI est à peu près certain que l'alchimie occidentale fit son apparition en Egypte, chez les artisans du métal, qui sachant que les minerais d'or, d'argent et de métaux non précieux sont souvent mélangés, purent avoir l'idée qu'il était possible de transmuer un métal dans un autre.

Cette conception rejoignait celle de la matière première originelle des philosophes grecs présocratiques de l'école d'Ionie, et celle de Platon et d'Aristote.

Venue d’Alexandrie, point de rencontre des cultures grecques, égyptiennes et orientales, l'alchimie a été transmise et développée par la civilisation arabe.

 

Principe originel de l'alchimie

A travers les siècles, la base fondamentale des spéculations et des pratiques de l'alchimie devait rester cette croyance en l'unité de l'être primordial de toutes choses.

De même que les êtres humains et les animaux, les métaux, selon les alchimistes, possèdent une vie interne, une âme, ils peuvent passer d'un état dans un autre, mourir, se transfigurer, se perfectionner. Tous les métaux tendent vers l'or comme vers leur perfection, et les alchimistes crurent possible d’accélérer ce processus par leurs manipulations.

Les premiers auteurs dont les noms se retrouvent dans l'histoire, tels que OlympiodoreStéphanus, sont des philosophes qui connaissent les pythagoriciens, les écoles ionienne et éléate.

 

La fin de la tetrasomia

Les alchimistes, tout comme Anaximène, Empédocle et Aristote, disent : le tout vient du tout, voilà toute la composition. C'est ce qu'expriment plus fortement encore les axiomes mystiques inscrits dans les cercles concentriques du serpent : rien ne demeure, tout devient et se transforme, tout est créé continuellement par les forces agissantes dans l'écoulement des phénomènes. Ce qui vit et se meut dans la nature, c'est le feu, l'âme ou souffle, principe mobile et perpétuellement changeant, substance première des choses.

Les alchimistes désignaient les quatre éléments par un seul mot: la tetrasomia, laquelle représentait la matière des corps.

Mais les alchimistes eux-mêmes découvrirent que terre et air n'étaient pas des éments simples. Le phénomène de la combustion donna lieu à une première théorie chimique. Enfin Lavoisier mit un terme au mythe de la tetrasomia en décomposant l'eau.

 

La terre n'est pas un élément mais la matrice des métaux dont l’or. 

De la version de l’alchimie adoptée par l’occident chrétien médiéval, on a surtout retenu la théorie de la transmutation des métaux. Une lente maturation se produit dans la terre qui amène les métaux de l’état le plus vil jusqu’à la pureté de l’or. Le rôle de l’alchimiste sera de découvrir les mécanismes de cette maturation afin de pouvoir les accélérer à l’intérieur de son laboratoire.

Les métaux, en particulier, relèvent de deux principes : le principe du "mercure", humide, froid, féminin, qui est le symbole du caractère métallique et le principe du "soufre", chaud, sec, masculin qui apporte au métal sa couleur et son caractère combustible. Un troisième principe, le "sel", préside à leur union. A noter que ces "principes" ne sont pas matériels. Le soufre, le mercure, le sel "philosophiques" se rencontrent dans une multitude de corps et ne sont pas réductibles aux seuls corps matériels qui portent ce nom.

Le soufre, par contre, avec son caractère combustible, sera très présent dans la première théorie chimique avérée, celle de Stahl. Le mercure, et ses transformations multiples sous l’effet de la chaleur sera à l’origine de l’une des expériences présentées par Lavoisier et fondatrices de la chimie contemporaine.

 

Le feu et la chimie du phlogistique.

 

L’élément "Feu" sous le nom de "phlogistique", (d'après le grec phlogistos « inflammable)  est à la base, à la fin du 17ème siècle, de la première description à laquelle on puisse réellement appliquer le terme de "théorie chimique".

Goerg Ernst Stahl (1660-1734), chimiste allemand et médecin est connu pour sa théorie phlogistique de la combustion. Tous les objets inflammables libèrent le phlogistique qui est la matière du feu. Lorsque le corps manque de phlogistique, le feu s'éteint. Lorsque métaux libèrent leur phlogistique, ils se rouillent. Un corps combustible est donc un corps riche en phlogistique. Il existe d’ailleurs des corps qui peuvent être considérés comme du phlogistique presque pur. Le soufre par exemple, cet élément cher aux alchimistes, brûle sans laisser de résidu.

 Cette théorie a été largement acceptée pendant près d'un siècle et a été l'un des ponts entre l'alchimie et la chimie.

En France elle sera vulgarisée par Rouelle (1703-1770)... dont le plus célèbre disciple est Lavoisier... qui la mettra à mal.

L'air ou les airs ?

Au début du 18ème siècle, en Angleterre on s'intéresse beaucoup « aux airs ». On observe que l’action d’un acide sur le calcaire produit une effervescence. L’acide "libère de l’air" qui était donc fixé dans la roche. Telle est l’interprétation dominante dans le premier tiers du 18ème siècle. 

Rapidement on se rend compte que cet air, désigné par le terme de "air fixe", n’a pas les propriétés habituelles de l’air : il n’entretient pas la vie, il trouble l’eau de chaux comme le fait l’air "vicié" expulsé par les poumons dans la respiration.

En 1766, Henri Cavendish (1731-1810) découvre "l’air inflammable" en faisant réagir les métaux avec des acides.

Joseph Priestley (1733-1804) utilise la cuve à mercure pour recueillir les "airs" nouveaux qu’il fait naître. Il découvre ainsi un air qui active les combustions, que l’allemand Carl Wilhelm Scheele (1742-1786) appellera "feuerluft" (air du feu) et que l’on désignera en France comme "l’air vital" après qu’on aura constaté son influence sur la vie des plantes et des animaux.

Priestley  découvre plusieurs éléments chimiques : le molybdène en 1778 et le tungstène en 1781, et des composés chimiques comme l'acide citrique, le cyanure d'hydrogène, le fluorure d'hydrogène et l'hydrogène sulfuré.

 

Le phlogistique est d’abord soupçonné d’être responsable de ces différentes apparences de l’air. L’air fixe, par exemple, ne pourrait-il pas être de l’air saturé par le phlogistique provenant de la combustion du charbon, de "l’air phlogistique".

L’air "vital" ne serait-il pas, à l’inverse, de l’air "déphlogistiqué" ? L’expérience montre en effet qu’il est capable d’activer la combustion ou la respiration, qui toutes les deux libèrent du phlogistique.

Cette accumulation de propriétés nouvelles conduit à considérer qu’il n’existe pas "un" air mais "des" airs. L’air est alors perçu comme un mélange de plusieurs corps dans un état qualifié "d’aériforme", un état que Lavoisier désignera par le mot "gaz" qui vient du néerlandais "geest", esprit , proposé par Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1640), un de ces "alchimistes" qui établirent un pont entre chimie et alchimie.


Expérience de Lavoisier
Expérience de Lavoisier

L’eau n'est pas non plus un élément !

 

Le coup de grâce au modèle des quatre éléments ainsi qu’à la théorie du phlogistique, sera porté par Lavoisier qui va réaliser la décomposition et la synthèse de l’eau.

 

Le 27 février 1785, Lavoisier, devant un auditoire choisi (académiciens français et étrangers, grands scientifiques, intellectuels...) va prouver la validité de sa théorie de l’oxydation.

 

Pour cela il va d’abord décomposer l'eau.

Versée goutte à goutte dans le canon de fer d’un fusil, placé en pente douce sur un lit de charbons ardents, elle produit un gaz qui est recueilli dans une cuve à eau. Il montre que ce gaz "13 fois plus léger que l’air atmosphérique" est le gaz généralement appelé "air inflammable".  Lavoisier pèse et mesure le canon de fer : il s’est alourdi !

 

" Le résultat de cette expérience présente une véritable oxydation du fer par l’eau : oxydation toute semblable à celle qui s’opère dans l’air sous l’action de la chaleur. Cent grains d’eau ont été décomposés ; 85 grains d’oxygène se sont unis au fer pour le constituer dans l’état d’oxyde noir, et il s’est dégagé 15 grains d’un gaz inflammable particulier : donc l’eau est composée d’oxygène et de la base d’un gaz inflammable".

 

Ce gaz, Lavoisier le nomme hydrogène :

 

"Aucun nom ne nous a paru plus convenable que celui d’hydrogène, c’est à dire principe générateur de l’eau."

 

Le savant réalise ensuite une synthèse de l'eau :  deux courants, l’un de dioxygène (l’air vital) l’autre de dihydrogène (l’air inflammable), sont envoyés dans un ballon où il  provoque une étincelle. De l’eau apparaît qui se condense sur les parois du ballon. La masse de l’oxygène et celle de l’hydrogène correspondent à la masse d’eau obtenue.

 

L’eau est donc bien un corps composé.

 

" Ainsi, déclare Lavoisiersoit qu’on opère par voie de décomposition ou de recomposition, on peut regarder comme constant et aussi bien prouvé qu’on puisse le faire en chimie et en physique, que l’eau n’est point une substance simple ; qu’elle est composée de deux principes, l’oxygène et l’hydrogène" (LavoisierTraité élémentaire de chimie, 1789).

 

La page de la tetrasomia et de l'alchimie se tournait, celle de la chimie moderne s'ouvrait.

 

Bibliographie

 

Marcelin Berthelot : Les origines de l'alchimie

Gérard Borvon : Eau, Air, Feu, Terre - Vie et Mort des quatre éléments

Comité Lavoisier : Oeuvre de Lavoisier

Chrysopée : Liste des textes alchimiques

... et tous les liens mis en place.