TIRÉ DE L'ACTUALITÉ MÉDICALE / 25 octobre 2000

ligne_bleue.gif (915 octets)

Il était une fois, cent fois, le millepertuis

Woelk H pour le groupe d’étude Remotiv. Imipramine. comparison of St John’s wort and imipramine for treating depression : A randomised controlled trial. 
Br Med J, septembre 2000 ; 321 : 536-9.

Christiane Martel, MD

martel.jpg (21452 octets)

Christiane Martel, MD

 

 

Objectif
Comparer l’efficacité et la tolérance par le patient de l’Hypericum perforatum (le millepertuis commun) et de l’imipramine dans le traitement des patients souffrant de dépression légère à modérée.

Conception
Essai clinique randomisé et à double insu.

Contexte
40 cliniques externes de psychiatrie, de médecine interne et de médecine générale d’Allemagne.

Participants
324 patients consultant en clinique externe pour une dépression légère à modérée (18 ou plus sur l’échelle de dépression de Hamilton à deux reprises).

Intervention
75 mg d’imipramine BID (n = 167) ou 250 mg d’extrait d’extrait d’Hypericum ZE 117 BID (n = 157) pendant six semaines selon une méthode double dummy, où chaque participant recevait un traitement actif (imipramine ou millepertuis) en même temps qu’un placebo de l’autre traitement.

Mesure des résultats
L’échelle de dépression de Hamilton, l’échelle d’impression clinique globale et l’échelle d’impression globale du patient. 

Résultats
Chez les 157 participants prenant le millepertuis, le résultat moyen à l’échelle de dépression de Hamilton est passé de 22,4 au début de l’étude à 12 en fin d’étude (13 ou moins = non déprimé). Chez les 167 participants prenant de l’imipramine, ce score est passé de 22,1 à 12,75. L’impression clinique globale moyenne était en fin d’étude de 2,22 sur 7 pour les patients prenant le millepertuis et de 2,42 sur 7 chez ceux prenant l’imipramine. La troisième mesure était celle de l’évaluation globale par le patient lui-même : un a indiqué « amélioré de beaucoup » et sept « détérioré de beaucoup » . On obtint des scores de 2,44 dans le groupe du millepertuis et de 2,60 dans celui de l’imipramine. Aucune des différences entre les deux groupes n’était significative. Cependant, le résultat moyen à l’échelle secondaire d’anxiété-somatisation de l’échelle de Hamilton (3,79 pour le groupe millepertuis et 4,26 pour le groupe imipramine) marquait un avantage significatif en faveur du millepertuis. La tolérance par le patient a été mesurée sur une échelle de 1 (excellente tolérance) à 5 (très faible tolérance). Le pointage obtenu a été favorable au millepertuis (1,67) par rapport à l’imipramine (2,35). Des effets indésirables sont survenus chez 62 sur 157 (39 %) des participants prenant le millepertuis et chez 105sur 167 (63 %) des participants prenant l’imipramine. Pour 4 (3 %) participants du groupe millepertuis qui ont abandonné en raison des effets indésirables, il y en eu 26 (16 %) dans le groupe imipramine. 

Conclusion
L’efficacité de l’extrait de millepertuis commun (Hypericum perforatum ) et de l’imipramine s’équivalent pour le traitement de la dépression légère à modérée, mais les patients tolèrent mieux le millepertuis.

 

Cher millepertuis ! Le Moyen-Âge le baptisa Fuga demonium puisqu’il « abat les vapeurs hypochondriaques » et libère les possédés ; le frère Marie-Victorin nous en décrit les fleurs jaunes, les feuilles elliptiques, la naturalisation depuis l’Ancien Monde et aussi les démangeaisons qu’il donne aux animaux 1. Bien plus tard, mon père m’en montra les perforations qui ponctuent le parenchyme de ses feuilles, d’où le nom de millepertuis. Et puis, ma revue de chevet préférée, Protégez-vous, m’a rappelé en août 1998 que mes patients prennent de l’« herbe de Saint-Jean » (l’appropriation du terme anglais St. John’s wort pour le millepertuis) en pilules ou en capsules pour soulager leur dépression et qu’ils ont probablement raison de le faire 2. On y mentionne qu’en Allemagne l’usage de d’hypéricine, la substance considérée comme l’ingrédient actif du millepertuis, est approuvé depuis quelques années pour le traitement de la dépression, des désordres du sommeil et de l’anxiété. La revue cite également un article du BMJ paru en 1996, dans lequel les auteurs comparent avantageusement le millepertuis au placebo ou à des antidépresseurs après avoir analysé 23 études touchant 1757 patients. Les auteurs concluent toutefois que d’autres études mieux contrôlées quant à l’échantillon et la durée étaient nécessaires. S’ensuivirent un article dans Newsweek et un reportage important à la télé américaine. Ce fut la ruée vers les capsules de millepertuis. Et moi qu’est-ce que j’attends ? L’étude parfaite ? Et bien, la voilà !
En gros, il s’agit d’un essai clinique randomisé qui semble irréprochable sur le plan méthodologique : groupes comparables entre eux, mesures effectuées à l’aide d’instruments validés et à l’aveugle, analyse qui tient compte de tous les sujets randomisés et puissance statistique suffisante pour démontrer l’équivalence des traitements. Avant d’écumer les tablettes des commerces tous plus naturels les uns que les autres, je me suis posé deux questions.
Première question. Comment cette étude s’insère-t-elle dans le corpus des connaissances actuelles ? A-t-on autant de preuves dans le champ des plantes que dans le pâturage pharmaceutique ? Fort pertinemment, la Cochrane Library a couvert le sujet en 1998 à partir de 23 études retenues pour leur rigueur 3. Bonne note pour le millepertuis puisque les auteurs (dont Linde, qui avait publié dans le BMJ en 1996) concluent de nouveau qu’il y a suffisamment de preuves pour affirmer que le millepertuis est plus efficace qu’un placebo pour traiter une dépression légère à modérée. Mais il n’y a pas encore suffisamment de preuves (en 1998) à l’effet que l’Hypericum est aussi efficace que les autres antidépresseurs. On a besoin d’études comparant le millepertuis à différents dosages aux antidépresseurs. L’an 2000 arrive avec cet article qui comble en partie cette lacune en démontrant que l’imipramine et le millepertuis sont également efficaces pour traiter une dépression légère à modérée.
Deuxième question. Que se serait-il passé si l’étude avait duré plus longtemps que six semaines ? Une meilleure qualité d’une réponse déjà bonne ? Un plus grand nombre de patients auraient-ils vu leur état s’améliorer ? Plus, ou moins, d’effets secondaires ? Un épuisement du bénéfice ? Ce serait à voir, car on sait que les antidépresseurs tricycliques peuvent tarder à agir. Mais le millepertuis aussi ! Il faut 10 à 14 jours pour un début d’action, 4 à 6 semaines pour une réponse significative. Nul doute que ce serait intéressant, mais la courte durée de l’étude ne la discrédite pas pour autant puisque ça marche, au moins pendant cette période.
Reste à voir comment prescrire l’extrait d’Hypericum perforatum. Au Québec, la grande majorité des suppléments affichent une teneur standardisée en hypéricine. Les analyses ne sont cependant pas contrôlées. Si vous souhaitez vous conforter avant de faire votre première ordonnance. fouinez du côté du document Herbs de l’Association médicale canadienne 4. Le chapitre sur le millepertuis est étoffé. On y indique de faire attention à la photosensibilité et aux interactions avec la warfarine, la digoxine, la cyclosporine, les contraceptifs oraux , la théophylline, les ISRS et possiblement d’autres antidépresseurs. La dose quotidienne recommandée est de trois doses égales de 300 mg d’extrait standardisé à 0,3 % d’hypéricine. La dose prescrite dans l’étude qui nous intéresse était plus petite. La dose peut-être augmentée jusqu’à 1800 mg. On peut cesser graduellement après trois mois bien qu’il n’y ait pas de restriction quant à la durée du traitement. 
En conclusion, le millepertuis commun risque de devenir encore plus commun dans nos cabinets de consultation à mesure que le vague à l’âme de notre époque préférera l’alchimie de la fleur jaune aux chimères de la chimie. 

Références 

  1. Frère Marie-Victorin. Flore laurentienne. Presses de l’Université de Montréal, édition 1964.
  2. Plamondon I. La plante du bonheur ? Protégez-vous, août 1998 ; 5-7.
  3. Linde K, Mulrow CD. St. John’s Wort for Depression (Cochrane Review). In : The Cochrane Library, Issue 3, 2000. Oxford : Update Software.
  4. McCutcheon AR. St. John’s Wort. In Herbs : Everyday Reference for Health Professionals. Éditeur : Chandler F. Association médicale canadienne et Association canadienne des pharmaciens, 2000.

 

TIRÉ DE L'ACTUALITÉ MÉDICALE / 25 octobre 2000