Objets inanimés avez-vous donc une âme ? A. de Lamartine

 

De la Matière à la Vie : Chimie ? Chimie ! 

 

C’est le thème de la Conférence que Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie pour ses travaux dans le domaine de la chimie supramoléculaire, professeur émérite à l’Université de Strasbourg et membre de l’Académie des sciences) a donné le 7 avril 2011 à Nancy dans le cadre de l’Année mondiale de la Chimie.

 

Il écrit dans sa présentation :

 

" L’évolution de l’Univers a généré des formes de plus en plus complexes de la matière, jusqu’à la matière vivante et pensante, par auto-organisation.

La matière animée tout comme la matière inanimée, les organismes vivants ainsi que les matériaux, sont formés de molécules et d’ensembles organisés résultant de l’interaction des molécules entre elles.

La chimie établit le pont entre les molécules de la matière inanimée et les systèmes moléculaires hautement complexes qui constituent les organismes vivants."

 

Avant d’en arriver à ces conclusions, aujourd’hui validées par la quasi-totalité des scientifiques, le chemin fut long.

 

La singularité du vivant par rapport à la matière inerte fut longtemps  admise comme réalité intangible.

Cette originalité était attribuée à la présence d'une force vitale, d'un principe caché qui habite l'organisme et transforme la matière inerte en matière vivante. La même matière, animée par la vie, devient matière vivante, avec des propriétés différentes. Cette force vitale échappe à toute expérience, et ne peut faire l'objet d'aucune étude scientifique.

 

La force vitale est-elle une expression de l’âme ?  C’est ce que dira Stahl en développant l’animisme :

 

«  Ce qui est vivant, recèle une âme », c’est l’âme pensante qui est la vraie cause des phénomènes vitaux. "

 

Paul-Joseph Barthez
Paul-Joseph Barthez

Le vitalisme, qui succède à l’animisme, est au-début incarné par l’Ecole de Montpellier sous la houlette de  Paul-Joseph Barthez (1734-1806) qui réfute la confusion de Stahl entre l'âme faculté d'intellection et l'âme principe végétatif. 

 

André Lalande définit ainsi le vitalisme "Toute doctrine admettant que les phénomènes de la vie possèdent des  caractères sui generis, par lesquels ils diffèrent radicalement des phénomènes physiques et chimiques, et manifestent ainsi l'existence  d'une « force vitale » irréductible aux forces de la matière inerte".  

 

Le vitalisme est né au contact du courant encyclopédiste.

 

C’est Théophile de Bordeu  (1722-mort à Bagnères-de-Bigorre en 1776), médecin,  Encyclopédiste, ami de Diderot (et personnage du Rêve de d'Alembert), qui ouvre la voie. Dans l’être vivant, il voit un phénomène autonome, irréductible à la physique ou à la chimie.

 

Dans Nouveaux éléments de la science de l'homme (1778), Barthez écrit « J'appelle principe vital de l'homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. Si je préfère celui de principe vital, c'est qu'il présente une idée moins limitée que le nom d'impetum faciens, que lui donnait Hippocrate, ou autres noms par lesquels on a désigné la cause des fonctions de la vie. »

 

A l'époque, le mérite principal du vitalisme est de redonner son sens et son originalité à la vie face à la conception mécaniste de Descartes, qui assimile le vivant à un automate infiniment compliqué, mais régi par les lois de la matière inanimée.

 

Descartes reprend pourtant la conception de l'âme d’Aristote (l’âme et le corps sont  une seule et même substance dont la matière est le corps et la forme, l’âme.) Pour lui l'âme est une substance pensante (res cogitans ou « chose qui pense »), la matière est une substance étendue.

 

 Cependant, Descartes prend garde à ne pas confondre l’effet et la cause. Dans Les Passions de l'âme il écrit :

 

" Que c’est erreur de croire que l’âme donne le mouvement et la chaleur au corps...

 

 … Et ainsi on a cru sans raison que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de nos corps dépendent de l’âme, au lieu qu’on devait penser au contraire que l’âme ne s’absente, lorsqu’on meurt, qu’à cause que cette chaleur cesse, et que les organes qui servent à mouvoir le corps se corrompent."

 Les passions de l’âme  (Art.5), 1649

 

Les lecteurs attentifs de ce site auront compris que le thème chimie/vie est au cœur des problématiques que j’y aborde. Par vie, j’entends existence (origine de la vie, angoisse, raison, déraison, mort), connaissance (cerveau, mémoire, oubli), santé (médicament), société (environnement, soumission, rébellion), passion (Eros), …  sur chacun de ces points la chimie est présente.

 

Nous savons aujourd’hui, que chimie et vie, depuis l’origine, sont indissolublement liées.

 

Oparin, dont j’ai déjà parlé à propos de l’origine de la vie, présentait ainsi ses travaux :

"Il n’y a pas de différences fondamentales entre les organismes vivants et la matière inanimée. Les combinaisons complexes des manifestations et des propriétés si caractéristiques à la Vie ont du provenir d’un processus d’évolution de la matière »

Statue de Berzélius, Berzelii Park, Stockholm, Sweden
Statue de Berzélius, Berzelii Park, Stockholm, Sweden

 La chimie est une science de la matière inanimée comme de la matière vivante.

 

Le cloisonnement chimie inorganique/organique fut longtemps aussi étanche que celui qui sépare les objets et les êtres vivants. Pourtant, dès que les moyens de l’analyse furent suffisants (vers la fin du XVIIIème siècle), il fallu bien se rendre à l’évidence, les éléments constitutifs de la matière -vivante ou non- étaient les mêmes. En particulier on remarqua que quatre atomes, carbone, azote, oxygène et hydrogène, suffisaient (presque !) pour construire les molécules du vivant.

 

Alors le débat se déplaça sur le terrain de la construction moléculaire : la chimie du vivant était forcement asynthétique, une force vitale (la main de Dieu ?)  présidait à l’agencement de la matière vivante.

 

Berzélius, s’exprime ainsi en 1830 :

 

"Dans la nature vivante, les éléments paraissent obéir à des lois tout autres que dans la nature inorganique… Si l’on parvenait à trouver la cause de cette différence, on aurait la clé de la théorie de la chimie organique ; mais cette théorie est tellement cachée que nous n’avons aucun espoir de la découvrir, du moins quant à présent."

 

Gerhardt (un des « inventeurs » de l’aspirine), écrit brutalement : "Je démontre que le chimiste fait tout l’opposé de la matière vivante, qu’il brûle, détruit, opère par analyse ; que la force vitale seule opère par synthèse, qu’elle reconstruit l’édifice abattu par les forces chimiques."

 

 De la Matière à la Vie : Chimie ? Chimie !

 

Sur ce sujet, JM Lehn pourrait parler des heures. Le thème a fait l'objet de quantité d'ouvrages, de publications de chimie, de biologie, de philosophie, de théologie, de médecine.... Et ce n'est qu'un début, les progrès concernant les acides nucléiques (ADN et ARN) vont conduire à de nouveaux développements. Certains ne parlent-ils pas déjà de vie artificielle ?

 Utopie ? Voire !


J'ai relaté ici même comment, en 2010, les scientifiques du Craig Venter Institute ont mis au point une bactérie dont le patrimoine héréditaire a été construit par synthèse  chimique assistée par informatique, qui est capable de se diviser pour se reproduire

 

« Il s’agit de la création de la première cellule vivante synthétique au sens où celle-ci est entièrement dérivée d’un chromosome synthétique ». « Ce chromosome a été produit à partir de quatre flacons de substances chimiques et d’un synthétiseur, le tout ayant commencé avec des informations dans un ordinateur. » Craig Venter

 

Certes, Craig Venter n’a pas "inventé" une nouvelle espèce bactérienne mais il a "copié" le génome d’une bactérie existante.  Il n’en demeure pas moins que la démonstration est faite : la création synthétique d'ADN pouvant, dans un environnement adéquat, entrer dans le cycle de la vie, est possible.

 

Des chercheurs américains du groupe de Floyd Romesberg à lInstitut de recherche Scripps de San Diego, en Californie, sont parvenus à assembler des paires de bases artificielles. Avec cet ADN synthétique ils ont réalisé la première étape de l’expression d’un gène, la réplication.

 

Tout récemment, en introduisant deux nouvelles bases nucléiques non naturelles, ils ont "augmenté" le livre du vivant, élargi l'alphabet génétique, ce qui constitue une formidable avancée pour mieux comprendre l'origine de la vie et explorer de nouvelles approches thérapeutiques

 

En créant des organismes synthétiques viables,  ces laboratoires ouvrent la porte à des applications médicales et technologiques novatrices. Cependant certains craignent qu'ils ne donnent aussi le jour à de nouvelles formes de vie possiblement pathogènes.

 

Ces percées majeures en génétique -dues aux progrès de la chimie et de la chimio-informatique- vont-elles modifier notre conception même de la vie ?

Elles ont en tout cas conduit certains chercheurs, comme J. Doyne Farmer, à en affiner les caractéristiques :

 

  1. La vie est une structure dans l'espace-temps, plutôt qu'un objet matériel spécifique.
  2. La vie implique un mécanisme d'autoreproduction.
  3. Un être vivant comprend une description de lui-même qu'il utilise pour se reproduire (Exemple : ADN).
  4. Un être vivant possède un métabolisme qui convertit la matière ou l'énergie de l'environnement dans les formes et les fonctions utiles à l'organisme.
  5. Un être vivant interagit fonctionnellement avec son environnement.
  6. Un être vivant est composé d'un ensemble de structures interdépendantes qui constituent son identité.
  7. Une forme vivante reste stable malgré les perturbations dues à l'environnement (Exemples : redondance des gènes, processus de guérison).
  8. Les êtres vivants ont une capacité d'évolution au niveau des générations successive de l'espèce (Exemple : mutation génétique).

L'âme ne figure pas dans cette énumération !

 

Mais connaissons nous l'origine de la vie ? Qu'avons-nous appris à ce sujet ?

C'est ce que nous allons maintenant regarder