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Transmettre quoi ? Le savoir !

Je délaisse ce blog, un peu débordé par la rédaction des épisodes de mon année de la chimie. Voila un exercice chronophage et parfois éprouvant. En tout cas un pari à tenir... mais sera-t-il tenu ?

Heureusement, je dors peu...

 

Autre avantage, que m'a donné mon métier (et sans doute un peu la nature), je sais utiliser la lecture rapide (à ne pas mettre entre les mains des enfants !), qui permet dans un premier temps de saisir (photographier) les points importants et les mots-clés d'un texte, pour pouvoir ensuite y revenir... ou passer son chemin.


L'ennui c'est que parfois, pour un roman qui ne me captive pas par exemple, il m'est difficile de revenir à une lecture normale. Il m'est arrivé, quelques fois, de devoir relire un bouquin dont il ne me restait presque aucun souvenir !

 

Pas de risque de ce côté là avec le texte présenté par Michel Serres à l'Académie Française ("Petite Poucette"), le premier mars dernier. J'ai signalé le résumé paru dans Le Monde sur ma page d'accueil.

 

Quel bonheur de lire sous une plume aussi brillante ce que l'on ressent de façon de plus en plus prégnante depuis 20 ans !

Je retranscris à nouveau la conclusion de sa première partie :

 

"Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort.

 

A ces humains, nos enfants, nos petits-enfants, notre génération propose une société du spectacle, du paraître, où des media vaniteux et incultes tiennent lieu d'éducateurs :

 

Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d’une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l’école et l’université. Pour le temps d’écoute et de vision, la séduction et l’importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d’enseignement.

Les enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs. Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque mal payés."

 
Michel Serres, après ce constat pose trois questions : Que transmettre ? À qui le transmettre ? Comment le transmettre ?

 

Que transmettre ? Le savoir !

 

"Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. "

 

Pour le philosophe les fonctions cognitives se transforment avec le support :

 

" Ne dites surtout pas que l’élève manque des fonctions cognitives qui permettent d’assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support. Par l’écriture et l’imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. Cette tête a muté."

 

La question qui se pose à nouveau est donc celle du comment (*) transmettre.


Michel Serres constate que nous n'avons pas fait (ou trop peu, ou trop tard) l'effort d'adapter nos pédagogies à ces nouveaux humains, de ne pas avoir su  utiliser ce prodigieux moyen de communication qu'est Internet :

 

"L’évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d’enseignement. Du coup, la pédagogie changea trois fois : avec l’écriture, les Grecs inventèrent la paideia ; à la suite de l’imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd’hui ?

Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait."

 

 

Question de moyens, d'état d'esprit, de formation des pédagogues, de lassitude devant tant de réformettes inutiles quand l'essentiel n'était pas traité ?

 Un peu de tout cela sans doute....

 

Moi, le temple, je suis législateur d'Éphèse;
Le peuple en me voyant comprend l'ordre et s'apaise;
Mes degrés sont les mots d'un code, mon fronton
Pense comme Thalès, parle comme Platon,
Mon portique serein, pour l'âme qui sait lire,
À la vibration pensive d'une lyre

Victor Hugo

 

(*) Je l'ai dit plusieurs fois ici notre enseignement secondaire est obsolète et la nuisance d'inspecteurs généraux attachés à leurs sacro-saints programmes, au quantitatif plus qu'au qualitatif, au disciplinaire quand l’essentiel est aux interfaces, toujours intacte. L'unique finalité du lycée est la réussite à un examen qui ne signifie plus rien. Ubu règne en maître !

 

Certains anciens IG sont cependant lucides. Ainsi Bernard Toulemonde, qui fut recteur de l'académie de Montpellier puis de Toulouse, écrit dans la Revue de l'Inspection Générale n° 5 :


" L’organisation actuelle [de l'IGEN], par discipline ou par spécialité, n’est pas adaptée au fonctionnement de l’Éducation nationale. Elle présente de trop nombreux effets pervers: cloisonnement et fonctionnement en «tuyaux d’orgue» avec chacun ses rites, sa culture, ses méthodes, sa tendance inévitable à la «défense de la discipline» («combien de divisions»?) et à la constitution de hiérarchies parallèles. …Cette organisation conduit à une grande pauvreté du travail collectif et interdisciplinaire; elle pèse sur l’ensemble du système et va totalement à l’encontre de la transversalité que connaissent désormais le niveau académique et le niveau des établissements scolaires. "